jeudi 22 mars 2012

La Sainte Trinité

C'est durant l'époque patristique afin de faire face aux hérésies que les Pères ont introduit la notion de relation pour parler des Personnes divines ; Personnes divines qui ne sont en effet pas des "choses" concrètes et finies comme des stylos ou des êtres humains (mais la notion de personne a muté et il faudrait en refaire l'histoire).
St Thomas portera cette théologie de la relation à son achèvement. Et c'est de cette riche théologie qui contribue à "éclairer", ou du moins, à permettre d'avoir une intuition du mystère trinitaire que j'aimerais donner un petit aperçu.
La Trinité en tant que mystère central de notre foi me paraît aujourd'hui souffrir d'un déficit d'explication. Tout se passe de nous comme si on devait se contenter d'adhérer sentimentalement au dogme ...

Partons déjà du donné de base : le dogme qui dit :

La Trinité = Dieu Un en Trois Personnes distinctes de même substance.
Le Père engendre éternellement le Fils, et ils spirent éternellement le St Esprit.
Père Fils et St Esprit sont rigoureusement égaux et co-substantiels. Il n’y a pas le Père avant et le Fils après. Le Fils étant la Parole éternelle, le Père prononce éternellement cette Parole.
Le Père n'est qu'en tant qu'il engendre le Fils, le Fils n'est Fils qu'en tant qu'il est éternellement engendrée, et le St Esprit n'est tel qu'en tant qu'il est spiré.
Il n'y a pas de Père s'il n'y a pas de Fils etc.


Avec la notion de relation subsistante la chose deviendra j'espère un peu plus claire.


I Bref aperçu général sur la notion de relation

La relation désigne un rapport d'un terme à un autre terme. Pour que ce soit plus claire, une illustration typique s’impose. Prenons la filiation entre un père et son fils.

Entre le père et le fils il y a une relation, il y a paternité d'un côté et filiation de l'autre. Mais cette relation n'est pas « subsistante » car elle a un esse in, c'est à dire un fondement dans un terme extérieur et dont la disparition du terme provoque sa disparition. En effet, le père est différent de la paternité, il n’a pas toujours été père, et surtout il n‘est pas que père. Ce n’est qu’à un moment donné de sa vie qu’il est devenue père et qu’il c’est donc constitué une relation vers son fils. Quant au fils il n’est pas que fils, et il ne sera pas toujours fils si son père décède.

Comme le dit St Thomas « la relation réelle, dans le monde créé, fait composition avec le sujet »

La relation fait composition avec le sujet, c’est dire que la relation, dans la création, est un « accident » (du latin accidere qui signifie "ce qui vient").

On peut considérer la relation de deux façons.


a) la relation en tant qu’accident


La relation désigne donc dans la réalité quelque chose d’accidentel, donc de non substantiel, de non permanent.

La « filiation » entre un père et un fils a besoin de deux êtres extérieurs à elle pour que le rapport soit constitué.
C'est en ce sens qu'aucune relation n'est jamais, dans la création, subsistante. La relation dépend toujours d'un sujet extrinsèque à elle.


En tant qu‘accident, la relation tire donc son être d'un sujet qu'elle inhère.
C’est-à-dire que dans la réalité, la relation en tant qu'accident vient s'apposer du dehors. La relation a donc toujours un mode d'être accidentel.

En définitive, il est essentiel de retenir que dans la réalité qui est la notre " la relation réelle s'ajoute au sujet qui la possède et se distingue réellement de ce sujet."


Mais en Dieu qui est éternel, il n'y pas d'accident, pas de détermination qui n'advienne du dehors et qui vienne ajouter quelque chose à l'essence divine.


b) la relation prise en elle-même

On peut toutefois faire un petit effort de pensée et considérer la relation en soi.

Il faut donc déjà par commencer par sortir de l'idée que seul la substance concrète, c'est-à-dire la chose dotée d'une existence concrète, peut être un être. Il faut donc un peu sortir de notre aristotélisme spontané.

Ici c'est la relation dans son esse ad qu'il faut considérer, c’est-à-dire la relation en tant que pur rapport immatériel, donc indépendamment de son sujet extérieur.
Considérée ainsi, elle est indifférente à ses conditions d'existence. Cela revient dans notre exemple à considérer la relation du père et d'un fils indépendamment du père et du fils, mais de façon purement abstraite.
En effet, prise en elle-même, elle n’est pas quelque chose de saisissable, de matérielle. Il est très difficile de se "représenter" une relation de façon abstraite, de la chosifier et de la mettre dans un concept.
C'est ce qui fait, dit Jean Borella, que la relation est le plus proche de la réalité intelligible.


II Les Personnes divines en tant que relations subsistantes


On peut maintenant transposer la notion de relation aux Personnes divines. Dieu possède toute qualité sur un mode suréminent, parfait, non accidentel.

Dans la Trinité, le Père est Paternité, il est cette relation de paternité même. Il n’est pas un sujet auquel une relation vient s'ajouter du dehors comme lorsqu'une personne humaine devient un père.
Le Père est la Paternité même. Il n'y a pas le Père, sujet d’un côté, puis la paternité attribut de l’autre qui s'en ajoute. Père et paternité sont un seul être, une seule relation subsistante.

« la relation constitue la personne en vertu de sa condition même de relation » (Cajetan)

C'est ainsi qu'on peut considérer les Personnes comme des relations subsistantes. Les Personnes n’ont pas des relations, mais elles sont relations mêmes.

La Personne en tant que Relation est dite subsistante cas son esse in, c’est-à-dire son fondement, est l'essence divine, et est identique à elle-même. Puisqu'en Dieu tout est Dieu, il n'y a rien d'accidentel en Lui, aussi la relation tire-elle son être de lui-même. C’est pourquoi les Personnes sont rigoureusement égales, co-substantielles, co-éternelles.

Autrement dit, la relation a son fondement dans l'Essence divine qui n'est pas autre chose qu'elle même. La Relation est donc identique à l'essence divine. La relation n'inhère pas de l‘extérieur, elle est ce que Dieu est.
Il n’y a pas l’Essence comme sujet puis les Personnes comme accident.

Mais les Personnes/relations ne sont pas de simples attributs. En même temps qu’il y a en Dieu unité (c'est-à-dire non pas unité numérique mais simplicité), il y aussi altérité. Et c’est ainsi que les Personnes en tant que relations permettent d’exprimer à la fois l''unité et l'altérité.
L'altérité s'exprime par la distinction qui se prend de l’opposition. Le Père en tant que relation qui se « porte » vers le Fils n’est pas le Fils, et le Fils en tant qu’il se porte vers le Père n’est pas le Père.
Aussi, le Père est autre (aliud) que le Fils, mais il n’est pas autre chose. Le terme même de différence est impropre car il exprime une distinction de nature.

« Plus grande est l’unité plus grande est la distinction » (Maitre Eckhart)


III Dernier aperçu.

En Dieu Trinité, on peut dire que l’Essence divine constitue un rapport, entre en relation avec elle-même.

En tant que l'Essence divine Se saisit éternellement -> le Père (Donnant)
En tant que l'Essence divine Se trouve saisie par Elle-même -> Le Fils (Dieu en tant qu‘il Se donne à Lui-même et qu'Il se reçoit)

Dans cette saisie d'elle-même, en tant que l’Essence s’auto-expérimente et s‘aime infiniment, ou encore, en tant qu’elle se porte vers elle-même (et que le Fils est engendré éternellement), elle revient du même coup sur elle-même.
Tout se passe comme si Dieu débordait sur lui-même. Maitre Eckhart parle de Dieu comme d'un jaillissement, d'un bouillonnement.
Bref, en se saisissant, l'Essence entre en relation avec elle même (du Père au Fils) et revient sur elle-même (du Fils au Père par le St Esprit qui est le lien d‘Amour entre le Père et le Fils).
Au passage, comme le fait remarquer Jean Borella, le St Esprit, en tant que lien d’Amour, montre qu’un "lien", un rapport, une relation à, constitue une Personne/Hypostase.

(Par analogie on peut dire que notre « personne »  c’est le « lien » qui nous rattache à Dieu et que nous devons approfondir. C’est donc « l‘esprit » c’est-à-dire « la fine pointe de l’âme » de l’âme dont St Jean de la Croix dit qu‘[il] est la portion supérieure de l'âme qui regarde et communique avec Dieu.
En approfondissant notre relation à Dieu nous approfondissons notre personne, nous devenons plus réellement nous même..)

La Trinité est comme une circulation éternelle. Dans un poème Maître Eckhart parle d'une boucle terrible et profonde. On peut ainsi se représenter le Père comme le point, le Fils comme le rayon et le St Esprit comme la circonférence : l'aspect vertical du Fils représentant l'autorité, le salut qui conduit tel une chemin vers le Père (Jn 14:6), l'aspect circulaire englobant du St Esprit représentant l'aspect maternel de Dieu qui "engendre" les chrétiens et le console (Jn 14:26).
L'icône de Roublev qui représente la Trinité avec les trois anges (visitant Abraham) disposés autours de la tables et qui se regardent parait aussi exprimer ce paisible mouvement circulaire.
"la vie qu'est Dieu ou l'être comme transcendant n'est pas un mouvement au sens strict mais une staticité circulatoire où l'essence s'exprime et se propage en la plénitude de son Soi, une ubiquité absolue et kaléïdoscopique, une circumincessio, une périchorèse." (Maxence Caron)

Dieu se donne à Lui même, s'éprouve, et par là même se connaît parfaitement. Le Fils est la parfaite connaissance du Père. Sa parfaite Auto-Révélation. « C’est dans le Don (le Fils) que Dieu se fait de lui-même à lui-même qu’il se connaît comme pure connaissance » (Jean Borella)
Cette auto-épreuve donne un savoir sans distance, un pur savoir qui n’implique aucune extériorité, aucune relation vers un terme extérieur à soi. La Vie qu’est Dieu s’expérimente, s’auto-éprouve et ce qui est éprouvé par sa Vie n’est rien d’autre que sa propre Vie.
C’est pourquoi le Fils est la révélation même, il ne donne pas une révélation, il ne livre pas un message comme un simple prophète délivre un signe, mais, en tant que Connaissance même du Père, il introduit dans le sein de la Trinité.


Source :

Gilles Emery (O.P), La théologie trinitaire de St Thomas d'Aquin, cerf
Jean Borella, Amour et vérité, L'harmattan

Sur la prière de Jésus

Le théologien catholique Louis Bouyer a jeté un éclairage la pratique des berakoth c'est-à-dire les actions de grâce qui rythmaient (ou rythment encore) la vie du juif pieux et qui permet de comprendre le sens de la vie chrétienne.
Ces berakoth se disaient en toutes circonstances. Ainsi, dès qu'un juif se réveillait il pouvait dire
"bénis es tu, ... toi qui vêts ceux qui sont nus", ensuite une fois levé, "bénis es tu, toi qui étendu la terre sur les eux"

Comme le dit Bouyer, il n'y avait donc pas un objet ou une action qui ne puisse renvoyer à la pensée Dieu et qui ne soit l'occasion de se livrer à la volonté de Dieu.

Dès qu'une chose se trouve reçue avec bénédiction, elle se trouve consacrée, sanctifiée, c'est-à-dire arrachée à la sphère profane, pour être remis en lien avec Dieu. Ainsi, la chose redevient bonne comme elle l'a toujours été, car tout ce qui est sorti de la main du créateur est bon. Car tout ce que Dieu a créé est bon, et l’on ne doit rien rejeter de ce qui se mange avec action de grâces; parce qu’il est sanctifié par la parole de Dieu, et par la prière. (Tim 1:4)

Et voici ce que L. Bouyer explique :

"la pratique constante des berakoth devient en effet une pratique toute enveloppante de la vie de l'homme et du monde, par laquelle toute chose sont comme ramenées à la Parole créatrice et comme restituée à la bonté originelle que celle-ci leur avait conférée.
C'est ainsi diront encore les rabbins, que toute la vie du fidèle du peuple d'Israël, jusqu'en ses occupations les plus profanes d'apparence, revêt un caractère non seulement sacré mais sacerdotal
"

"les rabbins développèrent une théologie très profonde de ces berakoth, que nous pouvons considérer comme le fondement de toute théologie eucharistique chrétienne. Ils soulignaient qu'en remplissant leur vie par l'action de grâce, les juifs pieux renouvelaient l'oeuvre d'Adam imposant son nom propre à toute chose, c'est-à-dire, reconnaissant le sens divin de toute chose : la façon dont elles découlent de la parole créatrice et n'en sont que l'expression.
C'est ainsi qu'il se révèle le prêtre de toute la création et qu'il la consacre à Dieu effectivement, - non pas qu'elle ne lui appartienne pas d'emblée, mais parce que le juif pieux, éclairé par la Parole divine et lui donnant la réponse qu'elle attend, est le seul qui, cessant de faire du monde idole, le restitue à se destination première d'être un instrument de louange
"

Et en effet, dans le christianisme, tout chrétien est un "prêtre" (cf catéchisme art 783 a 786, et 1 P2,5-9) qui doit consacrer l'univers entier et le sanctifier par la prière. Par là, le chrétien prépare l'avènement de Dieu tout en tous.
Bossuet synthétise ceci dans un sermon sur l'annonciation :

C'est pourquoi il est mis au milieu du monde, industrieux abrégé du monde, petit monde dans le grand monde, ou plutôt, dit saint Grégoire de Nazianze, « grand monde dans le petit monde », parce qu'encore que selon le corps il soit renfermé dans le monde, il y a un esprit et un cœur qui est plus grand que le monde, afin que contemplant l'univers entier et le ramassant en lui-même, il l'offre, il le sanctifie, il le consacre au Dieu vivant : si bien qu'il n'est le contemplateur et le mystérieux abrégé de la nature visible, qu'afin d'être pour elle par un saint amour le prêtre et l'adorateur de la nature invisible et intellectuelle
.

Bref, la plus haute théologie catholique prend sa source même dans le judaïsme ancien.


Bouyer nous apprend encore une chose très intéressante sur le sens de la pratique des berakoth :

"les mêmes rabbins encore, qui répétaient que la Schekinah demeure invisiblement avec tout groupe de juifs réunis pour méditer la Torah, n'hésitent pas à dire que chaque juif fidèle en prononçant les berakoth sur tout ce qu'il voit ou touche de ses mains, en fait une demeure consacrée pour cette même Schekinah"

Texte intéressant car la Schekinah, la présence divine, est rapprochée du Christ dans Matthieu 18:20 et dans de nombreux autres passages. Ainsi, là où des chrétiens sont assemblés au nom du Christ, celui-ci est présent.
Matt 18:20 Car en quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je m’y trouve au milieu d’eux."




J'avais déjà traité précédemment du rapport entre le Christ et son Nom, et l'importance du Nom de Jésus qui tient une grande place chez St Paul. En effet, une telle idée n'est pas étonnante et puise sa source dans la Bible où le Nom de Dieu comme le Tétragramme que les Juifs ne prononcent plus, la manière de le prononcer s'étant par ailleurs perdue, tend à se confondre mystérieusement avec sa présence même.
Aussi, si St Paul insiste beaucoup, ainsi que les premiers écrits chrétien comme celui du Pasteur d'Hermas, sur le Nom de Jésus c'est que le nom divin a prononcer est désormais le Nom de Jésus (formé du nom divin Yah/Yeh).

Le catéchisme rappelle d'ailleurs à cet égard que "Son Nom est le seul qui contient la Présence qu’il signifie". (Art 2666) Et un moine orthodoxe Lev Gillet l'a judicieusement comparé à une lentille "qui reçoit et concentre la lumière blanche de Jésus". Prononcer son Nom, c'est se rendre présent à Lui, et le prononcer sur une chose, c'est la sanctifier, la ramener dans le Christ dans lequel tout sera réunie (1 Eph 10).

Bref, tout ceci dire encore que "le Nom de Jésus est un instrument, une méthode de transfiguration" propre à la réunification de toute chose en Christ, Verbe par lequel tout a été fait (Jean 1:3) et donc à l'accomplissement du sacerdoce du chrétien.






Louis Bouyer, Introduction à la vie spirituelle ed cerf (qui met en rapport sens des berakoth et prière chrétienne)
Louis Bouyer, L'eucharistie ed cerf
Un moine de l'Eglise d'orient (Lev Gillet), La prière de Jésus (qui traite de l'idée de l'invoquer le Nom du Christ sur tout chose ou tout homme pour le sanctifier)

Le surnaturel

Pour continuer sur le thème du sacré , j'en profite pour mettre ici ces paroles lumineuses (à mon sens) que le père Henri de Lubac a prononcé lors d'une conférence en 1942 et qui sont cités dans la préface de son livre le "Surnaturel"(DDB 1991) .
Elles mettent en lumière l'extrême importance qu'il y a à correctement penser les rapports entre la nature et la grâce, ce qui fut le problème d'un certain catholicisme post-médiéval qui a mal interprété St Augustin, sous peine de verser dans un dualisme triste (celui des protestants et des jansénistes) qui mène au naturalisme et à l'athéisme.


"Il y a entre la nature et la surnaturel, une distinction absolue, une hétérogénéité radicale, et il est bon d'y insister d'abord pour éviter certaines confusion meurtrières et sacrilèges ; mais cela n'empêche pas qu'il y ait dans l'une et l'autre un rapport intime, une ordination, une finalité. La nature est faite pour le surnaturel, et sans avoir aucun droit sans lui, elle ne s'explique pas sans lui.
Il en résulte que tout l'ordre naturel, non seulement dans l'homme, mais dans le monde entier qui, ainsi que St Paul nous l'enseigne, est déjà pénétré par un surnaturel qui le travail et qui l'attire lorsqu'il est en absent, cette absence est encore une sorte de présence. En d'autres termes, que nous pouvons prendre pour à peu près équivalent ici, il est bien vrai sans doute que nous devons distinguer dans l'ensemble des choses et dans la vie humaine une double zone : la zone du "profane" et la zone du "sacré" ; il est bien vrai que certaines choses que nous connaissons et que nous utilisons, que certaines activités que nous déployons sont, à les considérer en elles-mêmes, purement profanes. Mais il faut ajouter que c'est là en un sens une abstraction. Car dans la réalité rien n'est purement en "soi-même". Tout, dans une mesure et à des titres qui peuvent varier beaucoup mais qui ne sont jamais négligeables, tout est sacré par destination et doit donc commencer de l'être par participation..

Tout, c'est-à-dire d'abord, évidemment les hommes nos frères, qui ne sont pas seulement des animaux mêmes raisonnables, classés selon leur "espèce, nos collaborateurs ou nos instruments pour des tâches purement humaines, mais des êtres spirituels, faits comme nous pour Dieu seul et, si misérables, si éteints qu'ils puissent nous paraître, tout au fond de chacun d'eux brille encore, au moins, une étincelle sacrée, et toutes ces étincelles sont destinées à se rejoindre pour un salut que Dieu veut fraternel.

Tout, c'est-à-dire aussi la nature entière, qui n'est pas seulement la proie de notre raison, ou le lieu de notre action matérielle, ou le grand magasin de notre subsistance, ou l'enchantement de notre sens esthétique, mais encore et surtout le symbole infiniment vaste et divers au travers duquel reluit mystérieusement la Face de Dieu. Un homme est religieux dans la mesure même où il sait reconnaitre partout ces reflets de la face divine, c'est-à-dire où il vit dans une atmosphère sacrée.

Or, le dualisme auquel nous nous sommes, dans un passé récent, trop laissé entrainer, a eu pour résultat que les hommes, nous prenant au mot, ont écarté tout le surnaturel, c'est-à-dire en pratique tout le sacré. Car si quelques un d'entre eux parlaient encore d'une "religion naturelle", cette religion avait une allure étrangement profane. Ils ont relégué ce surnaturel dans quelque recoin éloigné où il ne pouvait que demeurer stérile. Ils l'ont exilé dans une province à part, qu'ils nous ont volontier abandonnée, le laissant peu à peu mourir sous notre garde.

Et pendant ce temps, ils se mettaient à organiser le monde, ce monde pour eux seul vraiment réel, seul vivant, le monde des choses et des hommes, le monde de la nature et le monde des affaires, le monde de la culture et celui de la cité. Ils l'exploraient où ils le bâtissaient, en dehors de toute influence chrétienne, dans un esprit tout profane ; en attendant que d'autres, dans un second temps, retrouvant au fond d'eux-mêmes cette soif du sacré qui ne peut demeurer longtemps sans se faire sentir, cherchassent à capter dans ce monde lui-même, et jusque dans ses éléments les plus grossier, le sacré comme dans sa source (et c'est contre ce nouveau danger qu'il nous faut lutter aujourd'hui, c'est de cette tentation qu'il faut quelque fois nous défendre nous-mêmes). Par un malentendu tragique, nous nous prêtions plus ou moins à ce jeu. Il y avait comme une conspiration inconsciente entre le mouvement qui conduisait au laïcisme et une certaine théologie (de la nature pure), et tandis que le surnaturel se trouvait exilé et proscrit, il arrivait qu'on pensât parmi nous que le surnaturel était mis hors d'atteinte de la nature, dans le domaine où il doit régner."

L'espace sacré

La modernité étant caractérisée par un rejet du sacré, ce qui se traduit par une vision unidimensionnelle du monde, je pense qu’il est utile d’avoir en tête ce qui oppose les deux notions de sacré et de profane et bien saisir ce que l'on risque de perdre à vouloir "vivre avec son époque".


1) L’espace sacré

Le sacré implique une conception qualitative de la réalité possédant des degrés de réalité supérieurs que l’homme peut traverser pour accéder à la réalité suprême qui est Dieu.

C’est un espace qui est donc étendu intérieurement, spirituellement. Dans le judéo-christianisme on distingue 3 cieux, 3 trois degrés de réalité que St Paul a parcouru (2 co 12:2 rien à voir avec les ’NDE‘) et que permet de gravir le « poteau sacré » , c’est-à-dire le Christ pouvant être assimilé à l’Arbre de Vie dont les racines sont au ciel. Ste Thérèse de Lisieux dit dans ses vers « il est sur cette terre / un Arbre merveilleux / Sa racine ô mystère !/ Se trouve dans les Cieux » 
et St Ignace d’Antioche écrit « la machine de Jésus-Christ, qui est la croix, vous servant comme câble de l'Esprit-Saint »

Cette arbre c’est le Christ Lumière (Jean 1:1-3), l’Axe de l’univers, le rayon Divin qui traverse la réalité, la soutient comme un pilier et qui permet de s’élever dans les cieux. Le Christ est, en effet, la Voie du Ciel (Jn 14:5, Jn 1:51 où montent et descendent les anges) qu’il faut parcourir et la Porte (Jn 10:7) de la délivrance ; parvenir là c’est arriver au Centre du monde en ce Point éternel où toutes les lignes commencent et viennent aboutir comme le dit le mystique flamand Jean Ruysbroeck. C’est dans d’autres cultures parvenir au moyeu immobile de la roue qui tourne et qui entraîne l'homme dans le devenir incessant de la corruption et de la mort.
L’axe de l’univers c’est aussi la Croix qui, planté sur le Golgotha , le crâne d’Adam symbole de la nature humaine, rétablit le contact avec le Ciel.
Dans l’Eglise byzantine, la Porte du Ciel est représentée par le dôme où est peint le Christ Pantocrator (en gloire).

En Mésopotamie, les Ziggurat représentaient les 7 cieux planétaires et le prêtre qui montait au sommait de l'édifice parvenait symboliquement au sommet de l’univers. Ce qui rappelle le palais hindou à 7 étages (prâsâda) où ceux-ci sont appelés des terres (bhûmi).
On retrouve aussi un pilier axiale dans les pagodes japonaises ; dans les yourtes où le chamane grimpe pour s‘envoler dans le ciel, rite en tout point analogue à certains rites hindou où le sacrificateur parvenu au sommet du poteau sacrificiel dit être devenu immortel.
Bref, il n’y a rien qui, dans l’architecture véritablement sacrée, soit laissé au hasard, l’édifice devant « incarner » matérialiser dans ses formes des principes métaphysiques devant rappeler à l’homme sa destinée surnaturelle. Tout, en effet, dans le temple doit rappeler que l’état central perdu, celui que possédait Adam avant la chute, doit être réintégré.

A ce propos Joseph Ratzinger (Benoit XVI) qui dans « L’esprit de la liturgie » plaide pour une redécouverte de la sacralité de l’église, nous enjoint à ne pas exagérer la différence entre l’église chrétienne et les temples des autres religions. On sait que certains réformateurs modernistes pourtant épris de relativisme ont éprouvé une haine farouche pour le sacré jugé trop « païen », comme si la synagogue antique n’avait pas été un lieu sacré … Cette attitude injustement critique envers le sacré car ignorante de sa signification a aboutit à la construction d’églises désacralisées ou la profanité du lieux n'a pu que déteindre sur l’âme du fidèle et obscurcir son sens spirituel.

2) L’espace profane

Contrairement à l’espace sacré qui est intérieurement ouvert, ceci étant donc symbolisé par un axe vertical parcourant et unissant tous les degrés de réalités et, plus généralement, contrairement au monde tel qu’il est vu dans les cultures traditionnelles, l’espace profane est purement quantitatif. Il est une réalité homogène, neutre comme le dit Mircea Eliade. Ce qui veut dire que dépourvu de transcendance, le monde est clôt sur lui-même. Il n’y a donc « d’en haut » que géographique, si bien que l’expression « monter au ciel » n’a pas beaucoup de sens.
Bref, je ne pense pas qu'il y ait lieux de s'attarder sur la conception profane de l'espace. Il n'y a pas grand chose à en dire.


3) Centralité du lieux sacré


C’est l’acte de consécration qui confère un caractère central un lieu sacré. Il faut généralement pour cela que l’espace soit le lieu d’une « hiérophanie » , d’une manifestation du divin. Il y a « irruption du sens » en sorte que la situation qualitative du lieu en soit modifiée.

Mais tout lieux est potentiellement sacré. Dans le christianisme, le monde devient pour le saint qui voit les choses dans leur essence (la contemplation naturelle) et qui voit le monde rayonner de l’amour divin, un immense sacrement.


Le lieu sacré et consacré devient le centre du monde spirituellement parlant. Il faut rappeler par ailleurs que les philosophes anciens n’ont jamais été assez naïf pour croire que l’homme se trouvait littéralement parlant au centre du monde. D’ailleurs, que ce soit en Europe ou en Inde, l’homme est situé « sous le Soleil » comme le dit la Bible, le Soleil étant le symbole de Dieu, si bien qu’être situé sous le soleil, signifie être dans la région du devenir et de la mort. Plus précisément encore dans la cosmologie aristotélicienne reprise parle christianisme, la terre se trouve dans la sphère sublunaire, peut-être au centre de cette sphère, mais dans les bas font de la création.


Le lieu sacré devient donc le centre du monde. C’est le cas de l’Eglise avec son autel qui est ouvert sur la transcendance qui sa manifeste dans l’eucharistie, ce qui fait de l’autel le cœur du l’Eglise

« la révélation d’un espace sacré permet d’obtenir un point fixe, de s’orienter dans l’homogénéité chaotique, de ‘fonder le monde’ et de vivre réellement » explique Eliade.

Au contraire dans l’expérience profane la plus souvent dominée par des considérations d‘ordre quantitatives : « il n’y a plus ’de Monde‘, mais seulement des fragments d’un univers brisé, masse amorphe d’une infinité de lieux plus ou moins neutres où l’homme se meut, commandé par les obligations de toute existence intégrée dans une société industrielle »

Le malheur est que le savant profane qui projette sa vision profane du monde sur les sociétés traditionnelles, pense que les anciens séparait signification et fonction/structure, esthétique et métaphysique, que la grossière pensée structuraliste est la pensée naturelle de l‘homme.
Fort du postulat qu’à la base de toute chose il y a un non sens comme l’a dit l'anthropologue structuraliste Levi-Strauss et donc que celui-ci soit toujours rapporté postérieurement, il ne décèle dans le dôme, le pilier, l’emblème de tel tribu etc, que nécessités matérielles ou agréments ingénieux, pour ce qui est du symbole de la tribu il n’y voit que volonté de différenciation, et dans l’idée que le monde soit soutenu par un pilier central qu’une superstition résultant d’un manque de connaissance scientifique.
Pourtant alors que le primitif dont la pensée est caractérisée  par « la participation » comme l’a vu le philosophe rationaliste Levy-Bruhl, et qui donc se meut dans aux moins deux degrés de signification, le scientifique profane imbu de son épistémologie structuraliste n’a qu’un seul degré de référence, celui du domaine physique, auquel il rapporte tout. Ce qui en toute logique devrait le conduire à reconnaître que le primitif ait une pensée peut être plus élevée et en tout cas beaucoup plus abstraite que la sienne.


4) Signification de la sacralité du lieux

Le sacré et la profane impliquent ainsi donc respectivement deux modalités d’être : la réalité et le chaos, l‘informe.

C’est pourquoi tout acte sacré en tant qu’il est une victoire sur le chaos, en tant qu’il est réel, imite un archétype divin. L’acte humain devenant analogique est en relation avec un archétype divin. Le plus souvent c’est l’acte créateur.

Ainsi, la construction de l’autel védique (hindou) du sacrifice qui symbolise l’univers et ses mondes constitue une cosmogonie : l’eau dans laquelle est gâché l’argile symbolise les eaux primordiales, l’argile qui sert de base à l’autel symbolise la Terre, et les parois latérales représentent l’atmosphère. Par ailleurs, la fumée du sacrifice qui représente l’axe du monde, passe par trois briques perforées au centre qui symbolisent les trois mondes (analogues aux trois mondes dans la tradition judéo-chrétienne), la fumée les traversant alors symbolisant la Lumière divine qui soutient le monde. Enfin, tout ceci s’accompagne naturellement d’un rituel exprimant la création d’une région cosmique.

Dans le christianisme, l’autel qui doit toujours être consacré et qui n’a donc rien d’une simple table pour faire un repas représente la pierre du sacrifice et la pierre de Bethel, là où Jacob a vu les anges monter et descendre, c’est-à-dire là où il a vu la réalité s’ouvrir intérieurement. L’autel, c’est donc une « ouverture vers le ciel » qui permet de nous libérer de l'enfermement de ce monde.

« Ainsi, explique Jean Hani, par le rite de consécration, l’autel chrétien, devient le centre du monde et se situe sur l’axe terre-ciel, ce qui le rend propre à devenir le lieu d’une théophanie, d’une manifestation divine, le lieu où le monde céleste entre en contact avec le monde terrestre. »

Conclusions qui sont aussi celles de Joseph Ratzinger (Benoît XVI) : «  De par sa position l’autel tout à la fois désigne l’Orient et en fait partie. Dans la synagogue, le Tabernacle de la Parole dirigeait vers Jérusalem ; dans l’église l’autel est le nouveau point focal de la liturgie, qui reprend sous une forme nouvelle, la signification du Temple. L’Eucharistie nous donne accès à la liturgie céleste, elle est l’acte par lequel l’adoration éternelle de Jésus Christ nous est rendue présente ici-bas. L’autel ouvre ainsi le ciel à la communauté rassemblée, ou plutôt conduit celle-ci, au-delà d’elle-même, dans la communauté de tous les saints. L’autel est pour ainsi dire une ouverture vers le ciel ; bien loin de fermer l’espace de l’église il permet à la fois l’entrée de celui qui est l’Orient dans la communauté rassemblée et l’échappée de celle-ci hors de la prison de ce monde. »

Si l’église est cruciforme, alors l’autel qui peut être situé soit dans le chœur, représente la tête du Christ étendu vers l’Orient, ce qui fait de l'espace qui va de l'entrée à l'autel "la voie du salut". Ou s’il est situé à la croisée du transept, donc au centre de la croix, il représente le cœur du Christ d’où jaillit la grâce qui donne la vie à ses membres que sont les chrétiens.


a) Sacralité des actes

Non seulement le lieux mais l’acte peut devenir sacré. Ainsi naturellement de la construction du lieux sacré, de certains métiers faisant appels à des connaissances sacrées, ou du mariage.

Encore en Inde, certains métiers peuvent ou pouvaient avoir une dimension sacrée et font de leurs artisans de véritables prêtres accomplissant un sacerdoce en cela qu‘ils se conforment à des réalités divines. A cet égard Plotin explique « les métiers tels que l’architecture ou la menuiserie qui façonnent la matière en des formes travaillées, peuvent être dits, en ce qu’ils se réfèrent à un modèle, tirer leurs principe de ce royaume là et des pensées de là-bas. »
Ce qui rappelle que le tabernacle avait été construit selon un archétype divin, une pensée de là-bas. (Exode 25:9).

De même dans le christianisme, la construction de l’église est une cosmogonie :

« la construction du temple imite la création du monde. Il en va d’ailleurs de même pour les opérations de tous les métiers et de tous les arts, à des points de vues différents, car il est dit que l’homme a été placé sur terre ut operaretur ‘pour y travailler’, c’est-à-dire continuer la création. La création c’est essentiellement le cosmos succédant au chaos, c’est-à-dire l’ordre, l’organisation au désordre, au tohu bohu de la Genèse. Ordo ab chao. C’est l’Esprit pénétrant la substance informe. De même, l’architecte fabrique un édifice organique à partir de la matière brute et dans cette réalisation il imite le créateur, qu’on a appelé à la suite de Platon, le Grand Architecte de l’Univers, parce que dit encore le philosophe « Dieu est géomètre ». La géométrie base de l’architecture, fut, jusqu’au début de l’époque moderne, une science sacrée dont la formulation pour l’Occident vient principalement du Timée de Platon et par celui-ci remonte aux pythagoriciens. » Jean Hani

D’autres actes peuvent avoir une dimension éminemment sacrée comme le mariage qui peut et doit dans le christianisme imiter une réalité divine, cette imitation lui conférant une consistance propre qui sanctifie les époux. Il faut en effet se rappeler que ce qui est profane est comme n’existant pas et donc que sacraliser son existence équivaut à se mouvoir dans le réel, à devenir de plus en plus réel.

Le mariage suppose en effet l’union du pôle masculin et féminin, deux pôles qui sont contraires ici bas, mais qui en Dieu sont à l’état archétypal et donc indistincts. En Dieu les deux pôles correspondent à sa "nature" -divine- féminine, et à sa "puissance" pôle masculin (cf rom 1:20), mais en Lui ils n’impliquent ni distinction ni détermination et sont donc totalement un.
Ces deux pôles sont aussi exprimés par le Christ et l’Eglise son « épouse », son corps, et qui dans sa face divine, n’est pas différente du Christ.
C’est donc pourquoi le mariage monogame est le seul qui soit véritablement conforme à l‘ordre céleste, et c’est la raison pour laquelle le Christ a rétablit ce qui était prévu à l’origine dans la Genèse : que l’homme quitte sa maison et s’unisse à sa femme pour ne plus faire qu’une seule chair, union perpétuelle, imitant ainsi l’indistinction des principes dans l’Unité divine. D’autre part, la nature humaine morcelée en principes féminins et masculins distincts et opposés est rétablit dans l’unité dans le mariage.
On peut donc regretter que l’accent fut plus mis sur la virginité et ce au détriment du mariage. Pourtant, c’est bien St Paul qui, malgré certaines paroles, parle du « mystère » du mariage et qui le met non seulement en correspondance avec la mariage mystique, mais avec le mariage céleste celui du Christ et de l‘Eglise. Heureusement Jean Paul II a rappelé tout ce qu’il fallait savoir sur le mariage.

Bref, ces considérations synthétiques de Mircea Eliade résument brillamment ce qui opposent la conscience moderne et profane qui tend très clairement à enfermer l’homme dans ses déterminismes psycho biologiques, et la conscience sacrée, laquelle voyant la possibilité de sacraliser des actes comme la mariage (et l’amour) y voit du même coup plus que du biologique, plus que du processus chimique :

« pour la conscience moderne : un acte physiologique, l’alimentation, la sexualité, etc. n’est rien de plus qu’un processus organique, quelque soit le nombre de tabous qui l’entravent encore. Mais pour ‘le primitif’, un tel acte n’est jamais simplement physiologique; il est, ou peut devenir un sacrement, une communion au sacré. »




Pour résumer toutes les considérations précédentes.

L’acte sacré est donc un acte véritable, réel, surchargé de sens et qui possède donc une consistance. C’est un acte aussi religieux (au sens de dévotionnel) que métaphysique.
Aussi, quand le Christ dit « vous ne pouvez rien faire sans rien moi » doit on sûrement interpréter cette parole comme une invitation à sanctifier nos actes pour qu’ainsi ils deviennent "réels".

Le sacré, on l’a vu, fonde ontologiquement la réalité, c’est lui qui fait passé le lieu profane, informe, neutre, du chaos primordial à la réalité, et qui du même coup ouvre la réalité vers le haut.

« L’Eglise, explique Jean Hani, étant une croix cardinale orientée et centrée sacralise réellement l’espace. Elle est l’omphalos de la cité sur laquelle elle rayonne, comme la cathédral est l’omphalos du diocèse, la primatiale celui de la nation, et la basilique papale celui de l’univers »

C’est pourquoi donc la construction de l’édifice sacré, comme celui de l’autel védique est fondamentalement une cosmogonie imitant l’acte créateur. En effet, il est dit dans la Tradition Juive : « Le Très Saint a créé le monde comme un embryon. Tout comme l’embryon croit, à partir du nombril, de même Dieu a commencé à créé le monde à partir du nombril, de même Dieu a commencé à créer le monde par le nombril et de là il s’est répandu dans toutes les directions. »

Et la construction de l’église qui débute par la fixation d’un point imite cette création primordiale :

« Elle (l’opération), constitue la fixation d’un centre, et, dans le symbolisme architectural, ce centre est regardé comme le centre du monde : il est un omphalos. Tout point de la surface terrestre peut, en effet, être pris pour le centre du monde, toutes les lignes verticales rayonnant de tous les points de la terre vers le ciel, et la distance aux astres étant infinie. Quand le centre est choisi et mis en rapport, par l’orientation avec le rythme céleste, il est réellement assimilé au Centre du monde, à cet axe immobile autour duquel tourne la ‘roue cosmique’. Ce centre, cet axe symbolise le principe divin agissant dans le monde, Dieu ‘moteur immobile‘. C’est un point sacré le lieu où l’homme entre en contact avec la Divinité … »

La nécessité de déterminer un centre étant que « ‘pour vivre dans le Monde’, explique Mircea Eliade, il faut le fonder et aucun monde ne peut naître dans le chaos de l’homogénéité et de la relativité de l’espace profane. La découverte ou la projection d’un point fixe -le Centre- équivaut à la Création du monde … »


Voilà, j’espère que ces quelques aperçus auront fait comprendre la distinction entre le sacré et le profane et ce que cela signifie pour un espace comme l’Eglise.

Sources

Mircea Eliade "Le sacré et le profane"
Jean Hani "Le symbolisme du temple chrétien" (pour tout savoir sur le symbolisme des parties de l‘église, et notamment sur l‘autel cœur de l’église … On trouvera des aperçus très précieux sur le temps liturgique, temps sacré qui récapitule la Vie du Christ, et qui doit devenir notre )
Joseph Ratzinger "L’esprit de la liturgie"

Dieu parle à l’homme à travers la création visible. Le cosmos matériel se présente à l’intelligence de l’homme pour qu’il y lise les traces de son Créateur (cf. Sg 13, 1 ; Rm 1, 19-20 ; Ac 14, 17). La lumière et la nuit, le vent et le feu, l’eau et la terre, l’arbre et les fruits parlent de Dieu, symbolisent à la fois sa grandeur et sa proximité.


Cet article 1147 du catéchisme est riche en signification pour la foi, et je souhaiterais tant bien que mal laisser entrevoir la métaphysique et la spiritualité qu’il y a derrière.
C’est, en effet, de la notion d’analogie et de ses retentissements sur la spiritualité que j’aimerais donner un petit aperçu.
J'en profite pour rappeler ces quelques principes de philosophie chrétienne.

Tout chose (tout ce qui est, on dira aussi « étant » ) est un « composé » d’acte d’être et d’essence.
L’essence (ou forme) est le principe déterminateur de la chose (ce qui l‘a définie, « ce que c‘est » ), et l’acte d’être est l’opération divine qui actualise cette essence (ce qui la tire hors du néant, « ce par quoi c‘est » ). Le composé d’être et d’essence donne ainsi une substance finie, un étant.
Toutefois, l’acte d’être n’est pas une forme, ni une chose, mais l’opération qui fait que l’étant se tient hors du néant. Autrement dit, l’acte d’être c’est bien l‘opération divine par laquelle la chose se tient hors du néant, mais cet acte d’être, la chose ne peut pas le retenir ce qui explique son entière dépendance envers son Principe. Dieu est donc au plus intime toute chose et c’est cette relation de dépendance qui constitue l’être même de la créature. Par là on comprend que le monde n’est pas autonome, mais qu’il est par Dieu. Tandis que Dieu lui ne participe à rien car Il est le seul Etre qui soit autonome, par lui-même, donc infini et illimité.
On ne le répètera jamais assez mais tout chose n’a donc d’être que par Dieu et donc par là même n’a de réalité que par Dieu qui est la « Réalité des réalités », le Seul qui soit absolument Réel. Par ailleurs, on peut dire aussi que c’est cette relation de dépendance qui chez les êtres humains constitue leur être personnel.

Le rôle de l’essence est important. C’est elle qui mesure le degré de relation de la chose à Dieu, « l’intensité » de l’opération divine en elle. Pour utiliser une autre image, elle détermine la « quantité » d’acte d’être communiqué. Aussi, plus l’essence est noble, plus Dieu y opère, se communique, et par là même, plus elle ressemble à Dieu. L’essence c’est donc la mesure de la ressemblance de la créature à Dieu et qui donc détermine la place de la créature dans la hiérarchie du réel. C’est un miroir où se reflète la perfection de Dieu. En l‘essence, finalement, se reflète le rayon divin qui opère dans la chose et la soutient hors du néant.
Il y a donc entre l’Etre suprême et l’étant, analogie à double titre, d’abord parce qu’il y a relation ontologique de la créature à Dieu par la communication de l’acte d’être, ensuite, parce que l’essence de la créature est une similitude créée de l’Essence Divine qui est l’Exemplaire que tout essence reflète et imite dans ses attributs.

« C’est un univers d’une grande beauté, sacré dans son être même qu’habite intimement l’efficace de la toute puissance divine, nourriture inépuisable d’une réflexion philosophique et théologique que sa nature propre apparente à celle de la spiritualité. » écrit E. Gilson résumant ainsi la conception de St Thomas de l’univers.


C’est donc naturellement que depuis les origines du christianisme et jusqu'au Moyen Age, l’homme est pleinement conscient de ce que le visible est le miroir de l’invisible, que Dieu parle à l'homme à travers la création visible. C’est ainsi que dans la symbolique chrétienne les animaux ont pu représenter des aspects du Christ. Pour les anciens, en plus des symboles bibliques comme le lion ou l’agneau, le poisson, l’abeille, mais aussi l'hippocampe, le dauphin (symbole du Christ ami), l'aigle et même le ver (symbole du Christ humilié) disaient quelque chose du Christ dans ses multiples aspects de créateur, rédempteur, illuminateur, juge etc.
Dans ces époques, l’univers doté d’une certaine sacralité, parlait de Dieu, tel un livre, ou un symbole.

« Si votre coeur était droit, alors toute créature vous serait un miroir de vie et un livre rempli de saintes instructions. Il n'est point de créature si petite et si vile qui ne présente quelque image de la bonté de Dieu » est-il écrit dans l’imitation de Jésus Christ
.
Et tous les grands théologiens, même St Thomas, qui n’ont pas craint d’être accusés de panthéisme ont naturellement exposé cette vision du monde qui fait du sensible un support pour la contemplation.

« Nous ne connaissons pas Dieu dans son Essence, mais par la magnificence de sa création et l'action de sa Providence, qui nous présentent, comme en un miroir, le reflet de sa Bonté, de sa Sagesse et de sa Puissance infinies. » St Maxime le Confesseur, Centuries sur la charité

« Or, les choses du monde sensible sont un signe des choses invisibles en Dieu , d'abord parce que Dieu est le principe, le modèle et la fin de toute créature, et que tout effet est un signe de sa cause, toute copie un signe de son modèle, et toute voie un chemin qui conduit à sa fin. » St Bonaventure, Itinéraire de l'âme à Dieu.

« Cependant cette grande variété de formes, et ce nombre presque infini d'espèces différentes, qui se trouvent dans les créatures, qu'est-ce autre chose en quelque sorte que des rayons de la Divinité, qui montrent que celui de qui elles tiennent l'être est vraiment, mais qui ne font pas voir absolument ce qu'il est? C'est pourquoi vous voyez quelque chose de lui, mais vous ne le voyez pas lui-même. Et lorsque vous voyez quelque chose de celui que vous ne voyez pas, vous êtes assuré de son existence, et cela doit vous porter à le chercher; celui qui la cherche en recevra des récompenses et des grâces, mais celui qui néglige de le chercher ne saurait trouver une excuse dans son ignorance. Mais cette façon de le voir est commune. Car il est aisé, selon l'Apôtre, à tous ceux qui ont l'usage de la raison, de contempler les perfections invisibles de Dieu dans les beautés visibles des créatures (Rom. I, 20)» St Bernard Sermon XXXI sur le Cantique des Cantiques.

Émile Gevaert explique ainsi la conception hautement spirituel et métaphysique que le Moyen Age se faisait du réel : "(le Moyen Age) Il savait que sur terre tout est signe, tout est figure, que le visible ne vaut que par ce qu'il recouvre d'invisible ; le Moyen Age qui n'était pas par conséquent dupe comme nous le sommes des apparences, étudia de très près cette science (l'Emblématique) et fit d'elle la pourvoyeuse et la servante de la mystique".

Le monde visible en tant qu'image de l'invisible, loin d'être dévalué, se trouve ainsi, par son hétéronomie, fondé et justifié. Le sensible a une raison d'être, une dignité, ce n‘est pas le fruit du hasard. C’est une sorte de voile qui cache et qui en même temps laisse entrevoir ce qu’il cache. "Toutes choses couvrent quelque mystère ; toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu" écrivait Pascal.
Et ainsi par ce qu’il laisse apercevoir quelque chose, parce que Dieu projette ses rayons sur lui, sert-il de support à la contemplation, la plus haute activité humaine. Le fondement de cette vision symbolique des choses c'est donc l'analogie qui permet de faire le lien entre le visible et l'invisible et qui fait de celui-là une image de celui-ci.

« Pour tout homme qui a l’œil sain et qui veut regarder, il n’y a rien de si visible que le lien des deux mondes … » écrit Joseph de Maistre dans ses « Soirées de Pétersbourg »

Image créée d‘une réalité supérieure, d’un archétype divin, la chose sensible a donc une correspondance en Dieu, c’est-à-dire un modèle, et entretient une rapport d‘analogie avec lui. Il n’y a là aucune once de panthéisme c’est-à-dire identité entre le créé et l’incréé, mais rapport d’analogie seulement, il y a en effet la fois différence et ressemblance entre ses deux ordres.
Aussi, le propre d’une action sacrée est de se conformer à un tel archétype. Il est donc normal que le but de la vie chrétienne soit de se conformer à Dieu (Matt 4:58), de tout faire avec Dieu et en Dieu (Jean 15:8), ce qui signifie retourner vivre dans l‘Unité divine et ainsi retrouver son exemplaire incréé, la racine de notre être créé. Ça veut dire aussi, qu’étant à l’image de Dieu, l’homme doit devenir ressemblant et par grâce s’identifier à Dieu. Ou encore, l’homme en tant que signe de Dieu, doit rejoindre son archétype (qui est en Dieu) dont il est comme une « projection » sur le plan du créé.



Il y a donc un « symbolisme » vertical unissant les choses à Dieu, et la réalité de ce point de vue peut être considérée comme un ordre hiérarchique. Hiérarchie céleste formée d’essences qui s’étagent sur différents plans selon leur perfection, autrement dit, leur degré de participation à Dieu. Et chaque plan qui constitue un degré de réalité, est en correspondance avec le plan supérieur.

Ainsi, la relation du soleil au Soleil du Christ, et donc de la lumière à la Lumière est un exemple de ce symbolisme vertical où une réalité inférieure symbolise naturellement une réalité supérieure. Ces choses et phénomènes naturels comme le solstice d’hiver sont donc fondés à signifier la naissance du Christ et c’est pourquoi on a pu faire de cet instant de l’année le moment de la naissance du Christ qui est la Lumière qui éclaire tout homme.

Il y aussi le rapport des eaux qui détruisent (le déluge, la mère rouge qui a enseveli les égyptiens) et qui aussi (ré)créent (les eaux de la Genèse) ou sauvent, et de l’Esprit Saint qui détruit le vieil homme et engendre des nouveaux chrétiens par le baptême.
A cet égard, le baptême, « jugement qui détruit le pêcheur » comme l’a écrit Jean Daniélou, est un exemple de symbole qui opère complètement ce qu’il signifie. Il détruit le vieil homme et recrée la personne qui ainsi naît en Dieu. C’est donc un symbole dont l’efficacité est pour ainsi dire « totale », comme l‘eucharistie où Dieu se rend substantiellement.
Quant à la liturgie terrestre elle manifeste aussi la liturgie céleste, le modèle auquel elle doit se conformer pour être efficiente. Le sacrifice du Christ dans la liturgie correspond au sacrifice de l’Agneau décrit dans l’apocalypse, Agneau immolé dès la fondation du monde et qui est ce mystère caché depuis l’origine dont parle St Paul (1 col 27). Au sacrifice éternel qui s’est manifesté dans le temps répond donc le sacrifice de la messe que celui-ci rend présent en même temps qu‘il rend aussi actuel le sacrifice historique. « C’est la même action sacerdotale qui a eue lieu un moment précis dans l’histoire, qui est éternellement présente dans le ciel, qui subsiste sous les apparence sacramentelles » explique Jean Daniélou.
Il en va de même pour l’autel, qui est pour Nicolas Cabasillas le vrai temple dans l‘église, le cœur de toute église. C’est une chose sainte (pas une table à pique-nique) qui correspond aussi à un Archétype et qui est par là même une figure du Christ. ‘Nous avons un autel‘ est-il écrit dans l’épître aux Hébreux (13:10) ce que St Thomas commente ainsi : « cet autel est soit la croix de Jésus-Christ sur laquelle il a été immolé pour nous, soit Jésus-Christ lui-même en qui et par qui nous offrons nos supplications. C’est cet autel d’or dont il est parlé au chapitre VIII, 3 de l’Apocalypse. »
L’autel chrétien symbolise le Christ qui est la vraie pierre du sacrifice, et le véritable Rocher (Cor 10,4) préfiguré par le rocher qui abreuvait les hébreux.
Ce symbolisme de l’autel prend aussi tout son sens quand on se rappelle l’épisode de Jacob dans la Genèse (28:11-19) où celui-ci après avoir vu en songe une échelle où les anges montaient et descendaient, dit que ce lieu terrible était la maison de Dieu, la porte du Ciel. Épisode qu’il faut mettre en rapport avec cette parole du Christ (Jean 1:51) où il dit qu’on verra les anges descendre et monter sur le Fils de l’homme. Ce qui veut dire que le Christ est lui-même cette Porte du ciel, la Voie, le Centre du monde, la Pierre marquant ce lieu . C’est la pierre angulaire promise par Isaïe (28:16) qui a été pierre d’achoppement (Rom 9:33). La pierre aux sept yeux dont parle Zacharie (3:9) le Christ/Eglise et ses sept sacrement. (Et chaque chrétien incorporé dans cette « édifice » devient une « pierre vivante » 1 P 2;5)
Ainsi, dans chaque église l’autel christique qui doit avoir été consacré comme Jacob qui a versé de l’huile sur la pierre de Béthel (Maison de Dieu), et qui devrait être orienté vers l’Orient, marque le centre du monde où montent et descendant les anges, le cœur divin d’où jaillit la grâce qui donne la vie éternelle.

S’il y a donc un symbolisme « vertical » , il y a aussi un symbolisme horizontal car les choses peuvent s’entr’exprimer entre elles ainsi que l’explique Mgr Landriot.
« Chaque être, loin d'être isolé dans la création, est unie avec les autres par un système de corrélation tel qu'on peut étudier ou entrevoir dans l'un au moins une partie des qualités de l'autre. »

Sur le plan de la création, un exemple de symbolisme horizontal est l’analogie qu’entretient l’homme microcosme, le petit univers, avec le macrocosme le grand univers.
Aussi, si l’homme a un centre qui est son cœur (et qui est selon l’anthropologie biblique sa racine métaphysique, son organe de connaissance et le lieu où Dieu est présent) , et qu’il y a analogie entre l’homme et l’univers, alors l’univers a aussi un centre qui est le Sacré Cœur. Centre non pas évidemment géographique mais spirituel.
C’est, en effet, l’architecture spirituelle, métaphysique, qui est la seule qui puisse nous dire quelque chose de son origine, et non pas la structure matérielle à laquelle les choses sont réduites et ainsi vidées et asséchées, du monde qui importe ici. Car celle-là conditionne celle-ci qui n’a pas sa cause en elle-même mais bien en dehors d‘elle. Dans ces conditions on peut se demander comment est ce qu'on peut sérieusement espérer trouver l'origine du physique dans le physique, d'un phénomène physique dans un autre phénomène du même ordre, à moins de professer un panthéisme philosophique.

Une autre analogie est celle de l’homme et du temple (ou de l‘église dont le centre est l‘autel qui représente le Christ), fondée sur celle du Christ qui est le vrai Temple au temple matériel de Jérusalem.
On peut, je pense, aussi parler des correspondances qu’entretient l’AT avec le NT, et dont leur étude s’appelle la typologie. « Celle-ci discerne dans les œuvres de Dieu dans l’Ancienne Alliance des préfigurations de ce que Dieu a accompli dans la plénitude des temps, en la personne de son Fils incarné. » est-il écrit dans le catéchisme. C'est ainsi que le serpent d’airain qui avait été élevé dans le désert pour que les hébreux puisse être sauvés, symbolise la Croix du Christ. Il y a aussi analogie horizontale entre l’autel mosaïque où était présent la manne et la Shekinah (la présence divine) et l’autel où Moïse répand le sang d’animaux sacrifiés pour sceller l’alliance avec Dieu (Ex 24:4-8), et l’autel christique qui est aboutissement de tous les autels précédents et où est présent l’hostie, c’est-à-dire le Christ, la Vrai Manne, le Pain descendu du ciel qui donne la vie éternelle et où est offert le sang du Christ.
La distinction entre symbole vertical et horizontal est toutefois peut être ici un peu artificielle.

St Jean de la Croix nous parle aussi de l‘harmonie du monde et des correspondances qu’il y a entres les choses. Il est peut être intéressant de résumé d'abord sa démarche. En, effet il avait d’abord débuté son ascension en rejetant radicalement tout ce qui n‘était pas Dieu, car il savait que tout ce qui était perçu en dehors de Dieu, c’est-à-dire dans la multiplicité, n’était qu’illusion et néant. Appliquant cette parole biblique, il se défait de tout : « Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. » Mais une fois parvenu à Dieu, il a retrouvé la création qu’il avait préalablement rejeté. Il l’a retrouvé en Dieu, pour la considérer à partir de Dieu, dans l’Unité, le regard illuminé par la Lumière divine, pour ainsi percevoir, l’harmonie qui unie toutes choses entre elles :
« Par l' enchantement de ce bocage, l'âme demande aussi à l'Époux maintenant pour ce temps-là, elle demande la grâce et la sagesse et la beauté que de Dieu possède non seulement chacune des créatures terrestres comme célestes, mais aussi celle qu'elles ont entre elles en leur sage correspondance, ordonnance, grâce et accord des unes aux autres, des inférieures entre elles comme aussi des supérieures entre elles, et entre les supérieures et les inférieures, ce qui est une chose qui fait à l'âme un grand enchantement et plaisir de la connaître. » Cantique spirituel s39

L‘analogie nous donne de comprendre les rapports qui unissent le visible et l‘invisible, que le monde est une hiérarchie dont les ordres inférieurs sont en correspondances avec les ordres supérieurs, et qui de ce fait, nous laissent entrevoir quelque chose de ceux là. C’est ainsi que, pour citer encore St Bonaventure : « les choses du monde sensible sont un signe des choses invisibles en Dieu ».
Cette vision des choses authentiquement chrétienne redonne du sens aux choses, introduit en elle de l’esprit (car elle met Dieu au centre de toute chose), et de la beauté dans le monde :
« Voilà le symbolisme ! Remonter du crée à l'incréé, du visible à l'invisible , se servir de la création toute entière comme d'un piédestal pour monter plus haut "car en toute créature visible, dit St Augustin, il y a quelque chose de caché, et Dieu veut que nous le cherchions, et qu'après l'avoir trouvé nous nous réjouissions de cette découverte" - Voir les caractères divins, c'est à dire les créatures elles mêmes, en admirer transitoirement la beauté extérieure, mais surtout en voir le sens, en saisir la pensée, en comprendre l'idéal, et lire sous des formes finies la grande pensée de l'Eternel. » Mgr Landriot, Le Symbolisme


        Quelques considérations sur l’icône.


L’art chrétien en occident a longtemps été symbolique, et c’est ainsi que les cathédrales sont des gigantesques symboles, des images du monde invisible en pierre; jusqu’à ce qu‘il soit supplanté par l‘art naturaliste de la Renaissance. Mais loin de moi la volonté totalement de dévaluer ce type d’art qui a aussi ces qualités mais qui n’est plus toutefois un art liturgique et sacramentel, mais qui cependant reste infiniment supérieur à l’art moderne qui est insignifiant dans tous les sens du terme.

L’art de l’icône chez les orthodoxes est un art symbolique. L’art dans cette vision à une fonction essentiellement liturgique et sacramentel. Il est là pour créer un environnement propice à la contemplation, pour orienter par des formes sensibles signifiantes les âmes vers l’invisible. Les orthodoxes disent à ce sujet que les icônes sont des fenêtres vers l’invisible.
Aussi, selon le théologie orthodox Vladimir Lossky les icônes sont « des centres matériels où repose une énergie, une vertu divine qui s’unit à l’art divin » et d’une façon générale, les symboles comme le signe de croix, l’eau bénite, l’encens, le chant sacré, la lumière des cierges sont « des symboles dans le sens le plus réaliste de ce mot, des signes matériels de la présence du monde spirituel ». De même, Hilarion Alfeyev indique que tout symbole chrétien, une icône, une église, un signe de croix, a deux faces, une sensible et une divine. Pour St Maxime le Confesseur « l’icône et le symbole sont reliés ontologiquement à ce qu’ils représentent, y participent et sont à même d’y faire participer dans une certaine mesure ceux qui les contemplent » ce pourquoi « on peut parler à cet égard d’un symbolisme efficace » précise aussi Jean Claude Larchet.
Si les églises orthodoxes sont parfois couvertes d‘icônes, c’est tout simplement parce que celles-ci rendent présent le monde divin et font de l’église un lieu éminemment sacré où le ciel et la terre se rejoignent. L’église n’est plus, par la vertu des icônes qui rendent présent le monde spirituel, tout à fait dans le monde, c‘est le ciel rendu présent. De ce point de vue l’icône a d’abord une fonction spirituelle.
A ce propos, la haine du sacré est tout à fait incompréhensible, car loin d’éloigner les fidèles de Dieu, le sacré est bien plutôt, comme l’a expliqué Louis Bouyer, la prise de conscience de l’immanence de Dieu dans le monde. Le sacré manifeste la proximité de Dieu aux hommes, la dignité du sensible qui devient support des réalités célestes, en même temps qu’il répond aux exigences d’un individu normal qui n’étant pas un pur esprit se sert aussi de ses sens. Aussi permet-il de créer une ambiance propice à l’intériorisation et à la prière. Pour ma part, difficile de voir dans ce rejet du sacré, un quelconque signe de maturité spirituel.

En tant qu’art sacré, la réalisation d’une icône est aussi un moyen de sanctification. L’iconographe doit se préparer par la prière, et recevoir l’Esprit Saint, car c’est en réalité l’Esprit Saint qui peint l’icône. Et c’est pourquoi toute icône authentique est « achiropite » , c’est-à-dire non faite de main d’homme. En ce sens, la réalisation d’une icône est un véritable exercice spirituel où la personne met son moi de côté et se soumettant à la volonté divine, se fait le support de celle-ci . « Rien dans l’icône authentique ne relève du hasard. Elle ignore le naturalisme, évacue le décoratif qui distrait de l’essentiel et rejette l’émotionnel qui traduit les passions. Chaque trait véhicule une énergie et il importe pour cela que l’iconographe se laisse traverser par l’Esprit Saint. » dit l’iconographe Michel Quenot.
Avec encore plus de force, Ludmilla Garrigou souligne la différence qu’il y a entre un art profane et l’art sacrée de l’icône : « L’artiste, en général, essaie de trouver son style, sa manière propre de s’exprimer et de traduire ses états d’âme. L’iconographe, lui, recherche l’effacement le plus total de son être, de sa personne, l’abnégation de soi : il se vide pour être mieux rempli».

L’art de l’icône en tant qu’art symbolique parle du monde transfiguré, déifié, et de l’état spirituel des personnages de l’histoire sainte. Elle traite donc d’un espace céleste dépourvu de temps et d'espace "séparatif" "extensif" où évoluent des êtres transfigurés n’ayant plus la physionomie contingente et accidentelle qui est la notre. Ce que l’icône manifeste ainsi, c’est l’homme qui vit dans le cœur (1 P3:4) et qui n’est pas visible à l’œil de chair. Par là, l’icône nous rappelle aussi notre destinée qui est d’être déifié.
C’est pourquoi une icône ne peut pas être représentative, car représenter c‘est essentiellement imiter.
Le monde transfiguré constituant une réalité supérieure, il ne peut être exprimé que de façon symbolique, par une icône faisant appel à notre faculté contemplative et proprement spirituelle.

L’icône, en tant que symbole, c'est donc une fenêtre sur le monde divin qui constitue un support pour la prière. En effet, les formes de l’icône fixées par la Tradition et exprimant un contenu théologique et dogmatique précis, signifient des choses divines et ont donc en tant que telles une correspondance analogique en Dieu. Il faut donc qu’il y ait conformité à un prototype pour que celui-ci puisse être rendu présent dans le support sensible. N’importe quelle forme produite par l’activité humaine ne peut pas symboliser un aspect divin ou une réalité spirituelle.
Contrairement à l’art profane qui généralement ne renvoie à rien d’autre qu’à une réalité profane ou qui représente des réalités sacrées de manière naturaliste, l’art sacré qui est symbolique (et donc analogique) a au contraire pour but de permettre de nous élever en entrevoyant des réalités d’ordre supérieur.
L’icône (et tout symbole chrétien authentique), que des docteurs de l'Eglise comme St Jean Damascène ont défendu contre les hérétiques iconoclastes, en tant que fenêtre sur le monde divin est là pour inviter à traverser le miroir du sensible, à effectuer une ascension qu’on appelle anagogie et qui suppose l’analogie entre la forme signifiante et le prototype signifié.
« corrélative à l’analogie, l’anagogie qui permet de circuler de manière ascensionnelle à travers tous les degrés du réel, un réel de structure foncièrement hiérarchique. » explique le Fr. François CASSINGENA-TREVEDY dans un article sur la liturgie chez St Maxime le Confesseur http://www.abbaye-liguge.com/uploads/115.pdf

« La vue symbolique des choses intelligibles par le moyen des choses visibles est science spirituelle et intellection des choses visibles par les invisibles. Il faut en effet que les choses se manifestent les unes par les autres se réfléchissent les unes dans les autres en toute vérité et en toute clarté et qu’elles aient entre elles une relation qui ne soit pas brisée. » St Maxime le Confesseur

On peut conclure ces considérations sur l’icône avec celui qui fut le grand théologien de l’icône au 20è siècle, Léonide Ouspensky :
« L’icône représente non la chair corruptible destinée à la décomposition, mais la chair transfigurée, illuminée par la grâce, la chair du siècle à venir (voir 1 Co 15, 35-46). Elle transmet par des moyens matériels, visibles aux yeux charnels, la beauté et la gloire divine. C’est pour cela que les Pères disent que l’icône est vénérable et sainte précisément parce qu’elle transmet l’état déifié de son prototype et porte son nom, c’est pour cela que la grâce, propre à son prototype, s’y trouve présente. Autrement dit, c’est la grâce de l’Esprit-Saint qui suscite la sainteté tant de la personne représentée que de son icône, et c’est en elle que s’opère la relation entre le fidèle et le saint par l’intermédiaire de l’icône de celui-ci. L’icône participe, pour ainsi dire, à la sainteté de son prototype et par l’icône, nous participons, à notre tour, à cette sainteté dans notre prière. »

Finalement, ce qui vaut pour l’icône vaut aussi pour une église dont les formes sensibles qui ont toujours répondu à des normes doivent exprimer et signifier l’invisible. Le formes sensibles doivent, en effet, véhiculer quelque chose des réalités intelligibles et permettre aux hommes de les entrevoir. Un non chrétien sera toujours plus touché par une belle cathédrale susceptible d'évoquer quelque chose en lui et de parler à son intuition, que par une église dont la forme est celle d'une salle de spectacle et qui se fond dans le paysage.
On comprendra donc tout l'enjeu qu'il y a dans cette doctrine qui semble oubliée du catholicisme, mais encore présente dans l'orthodoxie, à une époque qui cherche à effacer le christianisme du paysage et par là même à l'effacer des consciences.
Symboliques, les formes sont donc de véritables moyens de présence pour les réalités spirituelles.
Comme le dit si bien St Maxime le Confesseur : « Le monde intelligible tout entier apparaît imprimé mystiquement dans le sensible en des formes symboliques pour ceux qui savent voir, et le monde sensible tout entier est contenu dans l’intelligible selon l’esprit et simplifié dans des concepts. Il est en lui par ses concepts, et celui-ci est en celui-là par ses représentations. »
Ainsi dans l'architecture chrétienne, la coupole (avec le Christ Pantocrator dans les églises byzantines) symbolise le ciel, et la base carrée, la terre. Ce qui symbolise bien l’union du ciel et de la terre, la réconciliation du crée et de l’incréé qui est le sens du Christianisme. Il me semble au demeurant que c’est un des trois modèle architectural autorisé dans l’église copte.
Mais la base peut aussi être cruciforme, avec le sommet, (la tête puisque l‘église est aussi image de l‘homme), où se trouve normalement l‘autel, orienté vers l‘orient. Ainsi, aller vers l’autel que symbolise le Christ, c'est aller vers l’Orient, et c’est monter vers la Lumière qui éclaire tout homme.

Citations sur la doctrine de la divinisation de l'homme

J’ai rassemblé quelques citations des pères de l’Eglise sur la divinisation de l’homme tirées de l’ouvrage du théologien orthodoxe Jean Claude Larchet « La divinisation de l’homme selon St maxime le Confesseur » paru aux éditions du cerf.

Le christianisme permet à l'homme vivant exilé, et décentré par rapport à Dieu qui est le Centre de toute réalité, de réintégrer son lieu d’origine dès maintenant, en revêtant le Christ, le bon berger venu chercher ses créatures. Par son incarnation nous donne, en effet, la possibilité de participer à la communion Trinitaire, au banquet céleste figuré dans l'icône de Roublev. http://rouen.catholique.fr/spip.php?article243

Si la divinisation est réellement possible c’est parce que Dieu a pris une nature humaine qu’il a divinisé et qu’il nous offre en rechange de l’ancienne qui est corrompue. C’est donc parce qu’il y a de la place en Dieu pour autre chose que Dieu, que la divinisation de l’homme est possible.
Comme l’occident a eu tendance à oublier les pères de l‘Église et à ne retenir de St Augustin que son insistance sur le pêché originel, ce qui a pu donner une vision triste de l'incarnation et de la crucifixion, la doctrine de la divinisation de l’homme permet de jeter un autre regard sur l’incarnation.

Intégré réellement et non pas métaphoriquement dans le Christ par le baptême, l’homme devient un christ qui participe de la divinité du Christ. Cependant l’homme ne devient pas Dieu par nature mais par grâce.

"Félicitons-nous donc, et rendons grâces à Dieu de ce que nous sommes devenus non seulement des chrétiens, mais le Christ lui-même.
Comprenez-vous, mes frères, appréciez-vous dignement la grâce que Dieu nous fait en devenant notre chef ? Soyez dans l’admiration, réjouissez-vous, nous sommes devenus le Christ ! Car s’il est notre chef, nous sommes ses membres; nous composons, lui et nous, son humanité tout entière."
St Augustin Traité St Jean 21

Catéchisme art 1265 Le Baptême ne purifie pas seulement de tous les péchés, il fait aussi du néophyte " une création nouvelle " (2 Co 5, 17), un fils adoptif de Dieu (cf. Ga 4, 5-7) qui est devenu " participant de la nature divine " (2 P 1, 4), membre du Christ (cf. 1 Co 6, 15 ; 12, 27) et cohéritier avec Lui (Rm 8, 17), temple de l’Esprit Saint (cf. 1 Co 6, 19).

art 1272 Incorporé au Christ par le Baptême, le baptisé est configuré au Christ (cf. Rm 8, 29). Le Baptême scelle le chrétien d’une marque spirituelle indélébile (" character ") de son appartenance au Christ. Cette marque n’est effacée par aucun péché, même si le péché empêche le Baptême de porter des fruits de salut (cf. DS 1609-1619). Donné une fois pour toutes, le Baptême ne peut pas être réitéré.



Quelques citations bibliques

Jean 10:34 Jésus leur répondit: "N'est-il pas écrit dans votre Loi: J'ai dit: vous êtes des dieux?

Acte 17:28-29 Ainsi donc, étant de la race de Dieu, nous ne devons pas croire que la divinité soit semblable à de l'or ou à de l'argent

2 P 1:4  et nous a ainsi communiqué les grandes et précieuses grâces qu’il avait promises, pour vous rendre par ces grâces participants de la nature divine.

Ga 3:27 Vous tous, en effet, qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ

Ga 2:20 et si je vis, ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi.

Luc 17:21 le royaume de Dieu est en vous






St Ignace d’Antioche (35-110)

"Vous êtes donc aussi tous compagnons de route, porteurs de Dieu et porteurs du temple, porteurs du Christ, porteurs des objets sacrés, ornés en tout des préceptes de Jésus-Christ. "


St Irénée de Lyon (130-202)

"Car, de même que ceux qui voient la lumière sont dans la lumière et participent à sa splendeur, de même ceux qui voient Dieu sont en Dieu et participent à sa splendeur."
Contre les hérésies L IV

"Jésus-Christ notre Seigneur, lui qui, à cause de son surabondant   amour,   s'est   fait   cela   même   que   nous sommes afin de faire de nous cela même qu'il est."
L V

"Ceux à qui il dit : «J'ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous des fils du Très-Haut. » Il s'agit de ceux qui ont reçu la grâce de la filiation adoptive par laquelle « nous crions : Abba, Père ».
L II

Le thème de l’adoption filiale est déjà mis chez lui en rapport avec la divinisation.


St Clément d’Alexandrie (150-220)

« Le Logos de Dieu est devenu homme, afin qu’à vous encore ce soit un homme qui apprenne comment un homme peut devenir dieu. »

« Il nous gratifie de l’héritage paternel, réellement grand et divin, et inamissible, divinisant l’homme par un enseignement céleste »

« Réalisons la volonté du Père, écoutons le Logos, écoutons la vie réellement salutaire de notre sauveur. Pratiquons dès maintenant la vie céleste, selon laquelle nous sommes divinisés, recevons l’onction de joie toujours jeune, du parfum de pureté, en considérant le mode de vie du Seigneur comme un exemple éclatant d’incorruptibilité et en suivant les traces de Dieu »


J-C Larchet ajoute que « cette pédagogie doit conduire le fidèle de la foi à la gnose »(1) , celle-ci, selon St Clément « se terminant dans la charité, unit ensuite l’ami à l’ami, le connaissant au connu »

« l’assimilation au Sauveur Dieu est échue au gnostique devenu parfait autant qu’il est permis à la nature humain »

L’eucharistie permet aussi de « recevoir le Christ lui-même si nous le pouvons, de Le déposer en nous, de mettre le sauveur dans notre coeur »

Cependant Clément rejette toute assimilation totale. Dieu et l’homme restent ce qu’ils sont.

(1) « Gnose » (gnôsis) terme aujourd’hui très suspect signifie science ou connaissance. Il fut utilisé par les pères grecs pour désigner la science spirituelle et est encore aujourd’hui utilisé par les théologiens orthodoxes dans un sens chrétien.

Origène (185-253))

« le noûs (intellect ou esprit) est déifié en ce qu’il contemple »
« L’intellect qui s’est purifié et élevé au dessus de toutes les choses matérielles pour avoir une vision nette de Dieu est déifié par sa vision »


« Dieu est donc le Vrai Dieu. Les dieux qui sont formés d’après lui sont comme les reproductions d’un prototype ; mais d’autre part l’image archétype de ces multiples images, c’est le Verbe qui est auprès de Dieu, qui était dans le principe, qui, parce qu’iI est auprès de Dieu, demeure toujours Dieu. »

Origène ne font commet pas non plus l’erreur de penser que l’homme devient un dieu par nature. Pour lui c’est bien par grâce que l’homme est élevé au dessus de sa nature.
Ainsi commente-il le verset 1 J 2:29 (Si vous savez qu'il est juste, reconnaissez que quiconque pratique la justice est né de lui) : « ces paroles ne signifient pas que le Christ nous élève à la nature de Dieu, mais qu’Il nous communique sa grâce et nous confère sa propre dignité. »




St Athanase (298-373)

La théologie de la divinisation est au cœur de sa doctrine qui lie l’incarnation à la divinisation.

« L’union (l’incarnation) c’est ainsi faite pour qu’a la nature divine fût unie la nature humaine, et que la salut et la déification de celle-ci fussent assurés. »

« il n’y a rien qui advienne qui ne soit opéré par le Logos dans l’Esprit ». Aussi la sanctification « vient du Père par le Fils dans le St Esprit »

« c’est dans l’Esprit que le Logos glorifie la création et, en la déifiant et l’adoptant, la conduit au Père ».

Lui aussi distingue le Fils par nature, Jésus Christ, et ceux qu’ils divinisent et à qui Il permet de devenir fils par grâce.

« Un seul est Fils par nature; nous autre nous devenons également fils, non toutefois comme lui par nature et en vérité, mais selon la grâce de celui qui nous appelle. Tout en étant des hommes terrestres nous sommes appelés dieux. Non pas comme le Dieu véritable ou son Verbe, mais comme l’a voulu Dieu qui nous a conféré cette grâce »



St Macaire (?-391)

« Le seigneur est venu pour changer et recréer nos âmes, pour les faire participer à la nature divine (2P1:4) comme il est écrit, pour donner à notre nature une âme céleste, à savoir l’Esprit de la divinité, pour nous conduire vers toute vertu, afin que nous puissions vivre de la vie éternelle »

« Les chrétiens reçoivent le feu qui les fait briller d’une unique nature, celle du feu divin, du Fils de Dieu. Il est écrit en effet : C’est pour cela qu’il a été appelé Christ pour que chrismés de la même huile que Lui, nous devenions des christs, ayant pour ainsi dire la même essence et le même corps que Lui. En effet il est dit encore : (He 2:11)celui qui sanctifie et ceux qui sont sanctifiés, tous ont même origine ; et ceci « la gloire que tu m’as donnée, je la leur ai donné »
Comme d’un seul feu sont allumés beaucoup de lampes, ainsi les corps des saints, étant membres du Christ, doivent devenir ce qu’est le Christ ».


St Cyrille d’Alexandrie (376-444)

La doctrine de la divinisions trouve chez lui selon Larchet sa pleine formulation. D’ailleurs, l’idée que le Christ est venu déifié l’homme et l'unir à Dieu est tellement évidente pour lui qu’elle constitue un argument en faveur de la divinité du Christ. Il pose, en effet la question « si le Logos de Dieu est une créature, comment sommes nous unis à Dieu et déifiés par l’union à Lui ? »

C’est le contact avec la nature divine qui permet la divinisation de la nature humaine. « Comme le fer mis en contact avec le feu, prend immédiatement la couleur de celui-ci, de même la nature de la chair, après avoir reçue en elle le Logos divin, incorruptible et vivifiant, ne resta plus dans la même condition, mais devint exempte de la corruption. »

L’eucharistie aussi déifie : « En recevant en nous corporellement et spirituellement celui qui est le Fils véritable et par nature, substantiellement uni au Père, nous sommes glorifiés en participant et en communiant à la nature suprême »

« Nous devenons participants de la nature divine, et pour cela nous sommes dits nées de Dieu et appelés dieux. Ce n’est pas seulement par la grâce que nous sommes élevés à cette gloire surnaturelle; c’est que nous possédons Dieu habitant et demeurant en nous … Nous sommes les temples de Dieu, selon St Paul, parce que l’Esprit habite en nous."


St Grégoire de Nazianze (329-390)

Si l’Esprit ne doit pas être adoré, comment me divinise-t-il par le Baptême ? Et s’il doit être adoré, ne doit-il pas être l’objet d’un culte particulier ? (S. Grégoire de Naz., or. theol. 5, 28 : PG 36, 165C). (cité dans le catéchisme art 2670)

St Grégoire de Nysse (331-394)

Le baptisé «  après s’être dépouillé de lui-même revêt la nature divine ».


St Basile (329-379)

Comme pour St Cyrille, l'idée que le Christ se soit incarné pour réintégré l'homme à Dieu est évidente, et il se servira donc cette doctrine pour défendre la divinité du Christ et du St Esprit.

« Comme les corps limpides et transparents, lorsqu’un rayon les frappe, deviennent eux aussi transparents, et d’eux-mêmes reflètent un autre éclat, ainsi les âmes qui portent l’Esprit, deviennent elles spirituelles… »

"De même que le fer placé au milieu du feu ne cesse pas d’être du fer, mais qu’enflammé par son très violent contact avec le feu, il recoit en lui-même toute la nature du feu et par la couleur et l’action s’est changé en feu, de même les puissances saintes de par leur communion avec Celui qui est saint par nature une sanctification qui a pénétré toute leur hypostase (personne) et leur est devenue connaturelle. Mais voici la différence entre elles et l’Esprit Saint : chez lui la sainteté est nature, tandis qu’il leur est accordé d’être sanctifiés par participation
."

A propos des trois docteurs cappadociens, St Basile, St Grégoire de Nazianze et St Grégoire de Nysse, il faut rappeler ce qu’a écrit Jean Paul II dans Orientale Lumen :

"L'enseignement des Pères cappadociens sur la divinisation est passé dans la tradition de toutes les Églises orientales et constitue une partie de leur patrimoine commun. Cela peut se résumer dans la pensée que saint Irénée avait déjà exprimée au II e siècle : de sorte que ce Fils de Dieu deviendrait Fils de l'homme pour qu'à son tour l'homme devînt fils de Dieu (14). Cette théologie de la divinisation demeure une des acquisitions particulièrement chères à la pensée chrétienne orientale (15). "


Pseudo Denys (Vè siècle)

On accède chez lui à une véritable mystique de la divinisation, et qui plus est, insérée dans un contexte liturgique.
L’Eglise et les sacrements sont totalement pensés comme le lieu de la divinisation. L'activité liturgique étant déifiante elle est donc indissociable de la vie mystique.

« Mais notre salut n’est possible que par notre déification. Et nous déifier, c’est ressembler à Dieu et nous unir à lui au tant que nous le pouvons »

« Elle assuma (la Bonté Théarchique, Dieu le Verbe) de la façon la plus authentique tous les caractères de notre nature, à l’exception du péché; elle s’unit à notre bassesse sans rien perdre de a propre nature, sans subir aucun mélange, sans souffrir aucun dommage, Elle nous accorda comme à des rejetons des propre race d’entrer en communion avec elle et de participer à sa propre beauté. C’est ainsi, comme l’enseigne la sainte tradition, qu’elle nous permit d’échapper à l’empire de légions révoltées, non par la prévalence de sa force, mais, selon la mystérieuse révélation des Ecritures, par un jugement et selon la justice.
Dans son oeuvre de bonté, elle opéra une totale transmutation de notre nature. Notre intelligence était encombrée de ténèbres et informe; elle la remplit d’une bienheureuse et divine lumière, elle l’orna de beautés conformes à sa nature déifiée. En assurant le salut de notre essence presque entièrement déchue, elle délivra la demeure secrète de nos âmes des passions maudites et des souillures malfaisantes. Elle nous révéla enfin que, pour nous élever spirituelle ment vers l’au-delà et pour vivre en Dieu, il nous fallait nous assimiler pleinement à elle, autant qu’il est en notre pouvoir. 
»

Le baptême véritable mort mystique donne la vie en Dieu, c’est-à-dire une subsistance divine.
Le baptême, en effet, conformément au symbolisme de l'eau dans l'AT qui détruit et récrée ou guérit, "fait du néophyte une création nouvelle" comme il est écrit dans le catéchisme.

« Etre déifié, c’est faire naître Dieu en soi ; personne, par conséquent, ne saurait comprendre, ni moins encore ni moins encore mettre en pratique les Vérité reçues de Dieu s’il ne lui a été donné d’abord de subsister divinement. »

« C’est ainsi qu’ayant vaincu toutes les opérations et toutes les substances qui font obstacle à sa déification, en mourant au péché par le baptême, on peut dire mystiquement qu’il partage la mort même du Christ. »


L’eucharistie aussi déifie :

« Tout d’abord initions-nous pieusement au privilège de ce sacrement qui se voit attribué de préférence à tous les autres un caractère commun à tous les sacrements hiérarchiques, puisqu’on l’appelle tout simple ment communion, et que toute opération sacramentelle consiste bien à unifier en les déifiant nos vies dispersées, à rassembler dans la conformité divine tout ce qui en nous est divisé, à nous faire entrer ainsi en communion et en union avec l’Un. »


Benoît XVI dans une catéchèse de 2008

""Nous voyons également tout le réalisme de cette doctrine. Le Christ nous donne son corps dans l'Eucharistie, il se donne lui-même dans son corps et il fait de nous son corps, il nous unit à son corps ressuscité. Si l'homme mange le pain normal, dans le processus de la digestion, ce pain devient partie de son corps, transformé en substance de vie humaine. Mais dans la sainte Communion, se réalise le processus inverse. Le Christ, le Seigneur, nous assimile à lui, nous introduit dans son Corps glorieux et ainsi, tous ensemble, nous devenons son Corps.

Parce que le Christ nous donne réellement son corps et fait de nous son corps. Nous devenons réellement unis au corps ressuscité du Christ, et ainsi, unis l'un à l'autre. L'Église n'est pas seulement une corporation comme l'État, c'est un corps. Ce n'est pas simplement une organisation, mais un véritable organisme. ""

Remarques sur la théologie de l'icône

Certes, l’icône n’a pas de réalité propre ; en elle-même, elle n’est qu’une planche de bois ; c’est justement parce qu’elle tire toute sa valeur théophanique de sa participation au “tout-autre” au moyen de la ressemblance, qu’elle ne peut rien enfermer en elle-même, mais devient comme un schème de rayonnement. L’absence de volume exclut toute matérialisation, l’icône traduit une présence énergétique qui n’est point localisée ni enfermée, mais rayonne autour de son point de condensation.


C’est cette théologie liturgique de la présence, affirmée dans le rite de la consécration, qui distingue nettement l’icône d’un tableau à sujet religieux et trace la ligne de démarcation entre les deux. (…) Une œuvre d’art est à regarder, elle ravit l’âme ; émouvante et admirable à ses sommets, elle n’a pas de fonction liturgique. Or, l’art sacré de l’icône transcende le plan émotif qui agit par la sensibilité. (…) L’artiste s’efface derrière la Tradition qui parle, les icônes ne sont presque jamais signées ; l’œuvre d’art laisse place à une théophanie ; tout spectateur à la recherche d’un spectacle se trouve ici déplacé ; l’homme, saisi par une révélation fulgurante, se prosterne dans un acte d’adoration et de prière. (…)


L'icône est donc un sacramental à même titre que le signe de croix ou le Nom de Jésus. Ce sont des symboles spirituels , c'est à dire, "des signes matériels de la présence du monde spirituel" comme l'écrivait Vladimir Lossky.

Une église aussi devrait être ressemblante, signifiante et donc rayonnante pour l'âme comme cela à toujours été le cas, mais un iconoclasme d'un nouveau genre qui cherche consciemment ou inconsciemment à effacer le transcendant de notre esprit par la laideur et la banalité a décidé qu'il fallait construire des église ressemblantes à des bunker ou à des sales de spectacles et que le rite, lui même symbolique dans le sens le plus réaliste du terme, devait se transformer en kermesse.

Les formes symboliques quand elles sont signifiantes expriment le monde spirituels comme le remarque St Maxime le Confesseur :
Citer:
Le monde intelligible tout entier apparaît imprimé mystiquement dans le sensible en des formes
symboliques pour ceux qui savent voir, et le monde sensible tout entier est contenu dans l’intelligible selon l’esprit et simplifié dans des concepts. Il est en lui par ses concepts, et celui-ci est en celui-là par ses représentations5

http://www.abbaye-liguge.com/uploads/115.pdf


Pour en revenir au sujet premier, un théologien russe du 19è siècle St Jean de Cronstadt expliquait : "A cause de notre corporéité le Seigneur lie, pour ainsi dire, sa présence et se lie Lui-même à la matérialité, à un signe visible . (...) Le Seigneur lie sa présence au temple, aux icônes, à la croix, au signe de croix, à Son nom composé de sons intelligibles, à l'eau bénite, au pain et au vin."
Ce qu'Hilarion Alfeyev (l'évêque orthodoxe très engagé dans le dialogue avec l'Eglise catholique) commente simplement ainsi : "les symboles sacrés ont une composante extérieure - -une substance matérielle- et une composante intérieure qui est Dieu." (Le Nom grand et glorieux ed cerf)

Non pas que la chose matérielle soit Dieu, il faut exclure tout panthéisme, mais le symbole matériel constitue un moyen de présence par lequel Dieu se rend présent à nous, ou plutôt, car Dieu est infini et donc partout, qui nous permet en le contemplant (le symbole) ou en le vivant avec foi (dans le cas de symboles comme le signe de croix ou le Nom de Jésus) de nous rendre présent à Lui.
Le symbole c'est donc quelque chose de réaliste et donc ontologiquement lié à ce qu'il signifie, ce lien constituant son être même (de relation). Et il en a toujours été ainsi jusqu'à ce que la modernité avec son nominalisme coupe la réalité en deux et isole le monde créé du monde spirituel, conception du monde que les protestants feront leurs et c'est pourquoi ils parleront de l'eucharistie comme d'un "symbole" (irréaliste) mais en détournant ce terme de sa signification première.