Dieu parle à l’homme à travers la création visible. Le cosmos matériel se présente à l’intelligence de l’homme pour qu’il y lise les traces de son Créateur (cf. Sg 13, 1 ; Rm 1, 19-20 ; Ac 14, 17). La lumière et la nuit, le vent et le feu, l’eau et la terre, l’arbre et les fruits parlent de Dieu, symbolisent à la fois sa grandeur et sa proximité.
Cet article 1147 du catéchisme est riche en signification pour la foi, et je souhaiterais tant bien que mal laisser entrevoir la métaphysique et la spiritualité qu’il y a derrière.
C’est, en effet, de la notion d’analogie et de ses retentissements sur la spiritualité que j’aimerais donner un petit aperçu.
J'en profite pour rappeler ces quelques principes de philosophie chrétienne.
Tout chose (tout ce qui est, on dira aussi « étant » ) est un « composé » d’acte d’être et d’essence.
L’essence (ou forme) est le principe déterminateur de la chose (ce qui l‘a définie, « ce que c‘est » ), et l’acte d’être est l’opération divine qui actualise cette essence (ce qui la tire hors du néant, « ce par quoi c‘est » ). Le composé d’être et d’essence donne ainsi une substance finie, un étant.
Toutefois, l’acte d’être n’est pas une forme, ni une chose, mais l’opération qui fait que l’étant se tient hors du néant. Autrement dit, l’acte d’être c’est bien l‘opération divine par laquelle la chose se tient hors du néant, mais cet acte d’être, la chose ne peut pas le retenir ce qui explique son entière dépendance envers son Principe. Dieu est donc au plus intime toute chose et c’est cette relation de dépendance qui constitue l’être même de la créature. Par là on comprend que le monde n’est pas autonome, mais qu’il est par Dieu. Tandis que Dieu lui ne participe à rien car Il est le seul Etre qui soit autonome, par lui-même, donc infini et illimité.
On ne le répètera jamais assez mais tout chose n’a donc d’être que par Dieu et donc par là même n’a de réalité que par Dieu qui est la « Réalité des réalités », le Seul qui soit absolument Réel. Par ailleurs, on peut dire aussi que c’est cette relation de dépendance qui chez les êtres humains constitue leur être personnel.
Le rôle de l’essence est important. C’est elle qui mesure le degré de relation de la chose à Dieu, « l’intensité » de l’opération divine en elle. Pour utiliser une autre image, elle détermine la « quantité » d’acte d’être communiqué. Aussi, plus l’essence est noble, plus Dieu y opère, se communique, et par là même, plus elle ressemble à Dieu. L’essence c’est donc la mesure de la ressemblance de la créature à Dieu et qui donc détermine la place de la créature dans la hiérarchie du réel. C’est un miroir où se reflète la perfection de Dieu. En l‘essence, finalement, se reflète le rayon divin qui opère dans la chose et la soutient hors du néant.
Il y a donc entre l’Etre suprême et l’étant, analogie à double titre, d’abord parce qu’il y a relation ontologique de la créature à Dieu par la communication de l’acte d’être, ensuite, parce que l’essence de la créature est une similitude créée de l’Essence Divine qui est l’Exemplaire que tout essence reflète et imite dans ses attributs.
« C’est un univers d’une grande beauté, sacré dans son être même qu’habite intimement l’efficace de la toute puissance divine, nourriture inépuisable d’une réflexion philosophique et théologique que sa nature propre apparente à celle de la spiritualité. » écrit E. Gilson résumant ainsi la conception de St Thomas de l’univers.
C’est donc naturellement que depuis les origines du christianisme et jusqu'au Moyen Age, l’homme est pleinement conscient de ce que le visible est le miroir de l’invisible, que Dieu parle à l'homme à travers la création visible. C’est ainsi que dans la symbolique chrétienne les animaux ont pu représenter des aspects du Christ. Pour les anciens, en plus des symboles bibliques comme le lion ou l’agneau, le poisson, l’abeille, mais aussi l'hippocampe, le dauphin (symbole du Christ ami), l'aigle et même le ver (symbole du Christ humilié) disaient quelque chose du Christ dans ses multiples aspects de créateur, rédempteur, illuminateur, juge etc.
Dans ces époques, l’univers doté d’une certaine sacralité, parlait de Dieu, tel un livre, ou un symbole.
« Si votre coeur était droit, alors toute créature vous serait un miroir de vie et un livre rempli de saintes instructions. Il n'est point de créature si petite et si vile qui ne présente quelque image de la bonté de Dieu » est-il écrit dans l’imitation de Jésus Christ
.
Et tous les grands théologiens, même St Thomas, qui n’ont pas craint d’être accusés de panthéisme ont naturellement exposé cette vision du monde qui fait du sensible un support pour la contemplation.
« Nous ne connaissons pas Dieu dans son Essence, mais par la magnificence de sa création et l'action de sa Providence, qui nous présentent, comme en un miroir, le reflet de sa Bonté, de sa Sagesse et de sa Puissance infinies. » St Maxime le Confesseur, Centuries sur la charité
« Or, les choses du monde sensible sont un signe des choses invisibles en Dieu , d'abord parce que Dieu est le principe, le modèle et la fin de toute créature, et que tout effet est un signe de sa cause, toute copie un signe de son modèle, et toute voie un chemin qui conduit à sa fin. » St Bonaventure, Itinéraire de l'âme à Dieu.
« Cependant cette grande variété de formes, et ce nombre presque infini d'espèces différentes, qui se trouvent dans les créatures, qu'est-ce autre chose en quelque sorte que des rayons de la Divinité, qui montrent que celui de qui elles tiennent l'être est vraiment, mais qui ne font pas voir absolument ce qu'il est? C'est pourquoi vous voyez quelque chose de lui, mais vous ne le voyez pas lui-même. Et lorsque vous voyez quelque chose de celui que vous ne voyez pas, vous êtes assuré de son existence, et cela doit vous porter à le chercher; celui qui la cherche en recevra des récompenses et des grâces, mais celui qui néglige de le chercher ne saurait trouver une excuse dans son ignorance. Mais cette façon de le voir est commune. Car il est aisé, selon l'Apôtre, à tous ceux qui ont l'usage de la raison, de contempler les perfections invisibles de Dieu dans les beautés visibles des créatures (Rom. I, 20)» St Bernard Sermon XXXI sur le Cantique des Cantiques.
Émile Gevaert explique ainsi la conception hautement spirituel et métaphysique que le Moyen Age se faisait du réel : "(le Moyen Age) Il savait que sur terre tout est signe, tout est figure, que le visible ne vaut que par ce qu'il recouvre d'invisible ; le Moyen Age qui n'était pas par conséquent dupe comme nous le sommes des apparences, étudia de très près cette science (l'Emblématique) et fit d'elle la pourvoyeuse et la servante de la mystique".
Le monde visible en tant qu'image de l'invisible, loin d'être dévalué, se trouve ainsi, par son hétéronomie, fondé et justifié. Le sensible a une raison d'être, une dignité, ce n‘est pas le fruit du hasard. C’est une sorte de voile qui cache et qui en même temps laisse entrevoir ce qu’il cache. "Toutes choses couvrent quelque mystère ; toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu" écrivait Pascal.
Et ainsi par ce qu’il laisse apercevoir quelque chose, parce que Dieu projette ses rayons sur lui, sert-il de support à la contemplation, la plus haute activité humaine. Le fondement de cette vision symbolique des choses c'est donc l'analogie qui permet de faire le lien entre le visible et l'invisible et qui fait de celui-là une image de celui-ci.
« Pour tout homme qui a l’œil sain et qui veut regarder, il n’y a rien de si visible que le lien des deux mondes … » écrit Joseph de Maistre dans ses « Soirées de Pétersbourg »
Image créée d‘une réalité supérieure, d’un archétype divin, la chose sensible a donc une correspondance en Dieu, c’est-à-dire un modèle, et entretient une rapport d‘analogie avec lui. Il n’y a là aucune once de panthéisme c’est-à-dire identité entre le créé et l’incréé, mais rapport d’analogie seulement, il y a en effet la fois différence et ressemblance entre ses deux ordres.
Aussi, le propre d’une action sacrée est de se conformer à un tel archétype. Il est donc normal que le but de la vie chrétienne soit de se conformer à Dieu (Matt 4:58), de tout faire avec Dieu et en Dieu (Jean 15:8), ce qui signifie retourner vivre dans l‘Unité divine et ainsi retrouver son exemplaire incréé, la racine de notre être créé. Ça veut dire aussi, qu’étant à l’image de Dieu, l’homme doit devenir ressemblant et par grâce s’identifier à Dieu. Ou encore, l’homme en tant que signe de Dieu, doit rejoindre son archétype (qui est en Dieu) dont il est comme une « projection » sur le plan du créé.
Il y a donc un « symbolisme » vertical unissant les choses à Dieu, et la réalité de ce point de vue peut être considérée comme un ordre hiérarchique. Hiérarchie céleste formée d’essences qui s’étagent sur différents plans selon leur perfection, autrement dit, leur degré de participation à Dieu. Et chaque plan qui constitue un degré de réalité, est en correspondance avec le plan supérieur.
Ainsi, la relation du soleil au Soleil du Christ, et donc de la lumière à la Lumière est un exemple de ce symbolisme vertical où une réalité inférieure symbolise naturellement une réalité supérieure. Ces choses et phénomènes naturels comme le solstice d’hiver sont donc fondés à signifier la naissance du Christ et c’est pourquoi on a pu faire de cet instant de l’année le moment de la naissance du Christ qui est la Lumière qui éclaire tout homme.
Il y aussi le rapport des eaux qui détruisent (le déluge, la mère rouge qui a enseveli les égyptiens) et qui aussi (ré)créent (les eaux de la Genèse) ou sauvent, et de l’Esprit Saint qui détruit le vieil homme et engendre des nouveaux chrétiens par le baptême.
A cet égard, le baptême, « jugement qui détruit le pêcheur » comme l’a écrit Jean Daniélou, est un exemple de symbole qui opère complètement ce qu’il signifie. Il détruit le vieil homme et recrée la personne qui ainsi naît en Dieu. C’est donc un symbole dont l’efficacité est pour ainsi dire « totale », comme l‘eucharistie où Dieu se rend substantiellement.
Quant à la liturgie terrestre elle manifeste aussi la liturgie céleste, le modèle auquel elle doit se conformer pour être efficiente. Le sacrifice du Christ dans la liturgie correspond au sacrifice de l’Agneau décrit dans l’apocalypse, Agneau immolé dès la fondation du monde et qui est ce mystère caché depuis l’origine dont parle St Paul (1 col 27). Au sacrifice éternel qui s’est manifesté dans le temps répond donc le sacrifice de la messe que celui-ci rend présent en même temps qu‘il rend aussi actuel le sacrifice historique. « C’est la même action sacerdotale qui a eue lieu un moment précis dans l’histoire, qui est éternellement présente dans le ciel, qui subsiste sous les apparence sacramentelles » explique Jean Daniélou.
Il en va de même pour l’autel, qui est pour Nicolas Cabasillas le vrai temple dans l‘église, le cœur de toute église. C’est une chose sainte (pas une table à pique-nique) qui correspond aussi à un Archétype et qui est par là même une figure du Christ. ‘Nous avons un autel‘ est-il écrit dans l’épître aux Hébreux (13:10) ce que St Thomas commente ainsi : « cet autel est soit la croix de Jésus-Christ sur laquelle il a été immolé pour nous, soit Jésus-Christ lui-même en qui et par qui nous offrons nos supplications. C’est cet autel d’or dont il est parlé au chapitre VIII, 3 de l’Apocalypse. »
L’autel chrétien symbolise le Christ qui est la vraie pierre du sacrifice, et le véritable Rocher (Cor 10,4) préfiguré par le rocher qui abreuvait les hébreux.
Ce symbolisme de l’autel prend aussi tout son sens quand on se rappelle l’épisode de Jacob dans la Genèse (28:11-19) où celui-ci après avoir vu en songe une échelle où les anges montaient et descendaient, dit que ce lieu terrible était la maison de Dieu, la porte du Ciel. Épisode qu’il faut mettre en rapport avec cette parole du Christ (Jean 1:51) où il dit qu’on verra les anges descendre et monter sur le Fils de l’homme. Ce qui veut dire que le Christ est lui-même cette Porte du ciel, la Voie, le Centre du monde, la Pierre marquant ce lieu . C’est la pierre angulaire promise par Isaïe (28:16) qui a été pierre d’achoppement (Rom 9:33). La pierre aux sept yeux dont parle Zacharie (3:9) le Christ/Eglise et ses sept sacrement. (Et chaque chrétien incorporé dans cette « édifice » devient une « pierre vivante » 1 P 2;5)
Ainsi, dans chaque église l’autel christique qui doit avoir été consacré comme Jacob qui a versé de l’huile sur la pierre de Béthel (Maison de Dieu), et qui devrait être orienté vers l’Orient, marque le centre du monde où montent et descendant les anges, le cœur divin d’où jaillit la grâce qui donne la vie éternelle.
S’il y a donc un symbolisme « vertical » , il y a aussi un symbolisme horizontal car les choses peuvent s’entr’exprimer entre elles ainsi que l’explique Mgr Landriot.
« Chaque être, loin d'être isolé dans la création, est unie avec les autres par un système de corrélation tel qu'on peut étudier ou entrevoir dans l'un au moins une partie des qualités de l'autre. »
Sur le plan de la création, un exemple de symbolisme horizontal est l’analogie qu’entretient l’homme microcosme, le petit univers, avec le macrocosme le grand univers.
Aussi, si l’homme a un centre qui est son cœur (et qui est selon l’anthropologie biblique sa racine métaphysique, son organe de connaissance et le lieu où Dieu est présent) , et qu’il y a analogie entre l’homme et l’univers, alors l’univers a aussi un centre qui est le Sacré Cœur. Centre non pas évidemment géographique mais spirituel.
C’est, en effet, l’architecture spirituelle, métaphysique, qui est la seule qui puisse nous dire quelque chose de son origine, et non pas la structure matérielle à laquelle les choses sont réduites et ainsi vidées et asséchées, du monde qui importe ici. Car celle-là conditionne celle-ci qui n’a pas sa cause en elle-même mais bien en dehors d‘elle. Dans ces conditions on peut se demander comment est ce qu'on peut sérieusement espérer trouver l'origine du physique dans le physique, d'un phénomène physique dans un autre phénomène du même ordre, à moins de professer un panthéisme philosophique.
Une autre analogie est celle de l’homme et du temple (ou de l‘église dont le centre est l‘autel qui représente le Christ), fondée sur celle du Christ qui est le vrai Temple au temple matériel de Jérusalem.
On peut, je pense, aussi parler des correspondances qu’entretient l’AT avec le NT, et dont leur étude s’appelle la typologie. « Celle-ci discerne dans les œuvres de Dieu dans l’Ancienne Alliance des préfigurations de ce que Dieu a accompli dans la plénitude des temps, en la personne de son Fils incarné. » est-il écrit dans le catéchisme. C'est ainsi que le serpent d’airain qui avait été élevé dans le désert pour que les hébreux puisse être sauvés, symbolise la Croix du Christ. Il y a aussi analogie horizontale entre l’autel mosaïque où était présent la manne et la Shekinah (la présence divine) et l’autel où Moïse répand le sang d’animaux sacrifiés pour sceller l’alliance avec Dieu (Ex 24:4-8), et l’autel christique qui est aboutissement de tous les autels précédents et où est présent l’hostie, c’est-à-dire le Christ, la Vrai Manne, le Pain descendu du ciel qui donne la vie éternelle et où est offert le sang du Christ.
La distinction entre symbole vertical et horizontal est toutefois peut être ici un peu artificielle.
St Jean de la Croix nous parle aussi de l‘harmonie du monde et des correspondances qu’il y a entres les choses. Il est peut être intéressant de résumé d'abord sa démarche. En, effet il avait d’abord débuté son ascension en rejetant radicalement tout ce qui n‘était pas Dieu, car il savait que tout ce qui était perçu en dehors de Dieu, c’est-à-dire dans la multiplicité, n’était qu’illusion et néant. Appliquant cette parole biblique, il se défait de tout : « Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. » Mais une fois parvenu à Dieu, il a retrouvé la création qu’il avait préalablement rejeté. Il l’a retrouvé en Dieu, pour la considérer à partir de Dieu, dans l’Unité, le regard illuminé par la Lumière divine, pour ainsi percevoir, l’harmonie qui unie toutes choses entre elles :
« Par l' enchantement de ce bocage, l'âme demande aussi à l'Époux maintenant pour ce temps-là, elle demande la grâce et la sagesse et la beauté que de Dieu possède non seulement chacune des créatures terrestres comme célestes, mais aussi celle qu'elles ont entre elles en leur sage correspondance, ordonnance, grâce et accord des unes aux autres, des inférieures entre elles comme aussi des supérieures entre elles, et entre les supérieures et les inférieures, ce qui est une chose qui fait à l'âme un grand enchantement et plaisir de la connaître. » Cantique spirituel s39
L‘analogie nous donne de comprendre les rapports qui unissent le visible et l‘invisible, que le monde est une hiérarchie dont les ordres inférieurs sont en correspondances avec les ordres supérieurs, et qui de ce fait, nous laissent entrevoir quelque chose de ceux là. C’est ainsi que, pour citer encore St Bonaventure : « les choses du monde sensible sont un signe des choses invisibles en Dieu ».
Cette vision des choses authentiquement chrétienne redonne du sens aux choses, introduit en elle de l’esprit (car elle met Dieu au centre de toute chose), et de la beauté dans le monde :
« Voilà le symbolisme ! Remonter du crée à l'incréé, du visible à l'invisible , se servir de la création toute entière comme d'un piédestal pour monter plus haut "car en toute créature visible, dit St Augustin, il y a quelque chose de caché, et Dieu veut que nous le cherchions, et qu'après l'avoir trouvé nous nous réjouissions de cette découverte" - Voir les caractères divins, c'est à dire les créatures elles mêmes, en admirer transitoirement la beauté extérieure, mais surtout en voir le sens, en saisir la pensée, en comprendre l'idéal, et lire sous des formes finies la grande pensée de l'Eternel. » Mgr Landriot, Le Symbolisme
Quelques considérations sur l’icône.
L’art chrétien en occident a longtemps été symbolique, et c’est ainsi que les cathédrales sont des gigantesques symboles, des images du monde invisible en pierre; jusqu’à ce qu‘il soit supplanté par l‘art naturaliste de la Renaissance. Mais loin de moi la volonté totalement de dévaluer ce type d’art qui a aussi ces qualités mais qui n’est plus toutefois un art liturgique et sacramentel, mais qui cependant reste infiniment supérieur à l’art moderne qui est insignifiant dans tous les sens du terme.
L’art de l’icône chez les orthodoxes est un art symbolique. L’art dans cette vision à une fonction essentiellement liturgique et sacramentel. Il est là pour créer un environnement propice à la contemplation, pour orienter par des formes sensibles signifiantes les âmes vers l’invisible. Les orthodoxes disent à ce sujet que les icônes sont des fenêtres vers l’invisible.
Aussi, selon le théologie orthodox Vladimir Lossky les icônes sont « des centres matériels où repose une énergie, une vertu divine qui s’unit à l’art divin » et d’une façon générale, les symboles comme le signe de croix, l’eau bénite, l’encens, le chant sacré, la lumière des cierges sont « des symboles dans le sens le plus réaliste de ce mot, des signes matériels de la présence du monde spirituel ». De même, Hilarion Alfeyev indique que tout symbole chrétien, une icône, une église, un signe de croix, a deux faces, une sensible et une divine. Pour St Maxime le Confesseur « l’icône et le symbole sont reliés ontologiquement à ce qu’ils représentent, y participent et sont à même d’y faire participer dans une certaine mesure ceux qui les contemplent » ce pourquoi « on peut parler à cet égard d’un symbolisme efficace » précise aussi Jean Claude Larchet.
Si les églises orthodoxes sont parfois couvertes d‘icônes, c’est tout simplement parce que celles-ci rendent présent le monde divin et font de l’église un lieu éminemment sacré où le ciel et la terre se rejoignent. L’église n’est plus, par la vertu des icônes qui rendent présent le monde spirituel, tout à fait dans le monde, c‘est le ciel rendu présent. De ce point de vue l’icône a d’abord une fonction spirituelle.
A ce propos, la haine du sacré est tout à fait incompréhensible, car loin d’éloigner les fidèles de Dieu, le sacré est bien plutôt, comme l’a expliqué Louis Bouyer, la prise de conscience de l’immanence de Dieu dans le monde. Le sacré manifeste la proximité de Dieu aux hommes, la dignité du sensible qui devient support des réalités célestes, en même temps qu’il répond aux exigences d’un individu normal qui n’étant pas un pur esprit se sert aussi de ses sens. Aussi permet-il de créer une ambiance propice à l’intériorisation et à la prière. Pour ma part, difficile de voir dans ce rejet du sacré, un quelconque signe de maturité spirituel.
En tant qu’art sacré, la réalisation d’une icône est aussi un moyen de sanctification. L’iconographe doit se préparer par la prière, et recevoir l’Esprit Saint, car c’est en réalité l’Esprit Saint qui peint l’icône. Et c’est pourquoi toute icône authentique est « achiropite » , c’est-à-dire non faite de main d’homme. En ce sens, la réalisation d’une icône est un véritable exercice spirituel où la personne met son moi de côté et se soumettant à la volonté divine, se fait le support de celle-ci . « Rien dans l’icône authentique ne relève du hasard. Elle ignore le naturalisme, évacue le décoratif qui distrait de l’essentiel et rejette l’émotionnel qui traduit les passions. Chaque trait véhicule une énergie et il importe pour cela que l’iconographe se laisse traverser par l’Esprit Saint. » dit l’iconographe Michel Quenot.
Avec encore plus de force, Ludmilla Garrigou souligne la différence qu’il y a entre un art profane et l’art sacrée de l’icône : « L’artiste, en général, essaie de trouver son style, sa manière propre de s’exprimer et de traduire ses états d’âme. L’iconographe, lui, recherche l’effacement le plus total de son être, de sa personne, l’abnégation de soi : il se vide pour être mieux rempli».
L’art de l’icône en tant qu’art symbolique parle du monde transfiguré, déifié, et de l’état spirituel des personnages de l’histoire sainte. Elle traite donc d’un espace céleste dépourvu de temps et d'espace "séparatif" "extensif" où évoluent des êtres transfigurés n’ayant plus la physionomie contingente et accidentelle qui est la notre. Ce que l’icône manifeste ainsi, c’est l’homme qui vit dans le cœur (1 P3:4) et qui n’est pas visible à l’œil de chair. Par là, l’icône nous rappelle aussi notre destinée qui est d’être déifié.
C’est pourquoi une icône ne peut pas être représentative, car représenter c‘est essentiellement imiter.
Le monde transfiguré constituant une réalité supérieure, il ne peut être exprimé que de façon symbolique, par une icône faisant appel à notre faculté contemplative et proprement spirituelle.
L’icône, en tant que symbole, c'est donc une fenêtre sur le monde divin qui constitue un support pour la prière. En effet, les formes de l’icône fixées par la Tradition et exprimant un contenu théologique et dogmatique précis, signifient des choses divines et ont donc en tant que telles une correspondance analogique en Dieu. Il faut donc qu’il y ait conformité à un prototype pour que celui-ci puisse être rendu présent dans le support sensible. N’importe quelle forme produite par l’activité humaine ne peut pas symboliser un aspect divin ou une réalité spirituelle.
Contrairement à l’art profane qui généralement ne renvoie à rien d’autre qu’à une réalité profane ou qui représente des réalités sacrées de manière naturaliste, l’art sacré qui est symbolique (et donc analogique) a au contraire pour but de permettre de nous élever en entrevoyant des réalités d’ordre supérieur.
L’icône (et tout symbole chrétien authentique), que des docteurs de l'Eglise comme St Jean Damascène ont défendu contre les hérétiques iconoclastes, en tant que fenêtre sur le monde divin est là pour inviter à traverser le miroir du sensible, à effectuer une ascension qu’on appelle anagogie et qui suppose l’analogie entre la forme signifiante et le prototype signifié.
« corrélative à l’analogie, l’anagogie qui permet de circuler de manière ascensionnelle à travers tous les degrés du réel, un réel de structure foncièrement hiérarchique. » explique le Fr. François CASSINGENA-TREVEDY dans un article sur la liturgie chez St Maxime le Confesseur http://www.abbaye-liguge.com/uploads/115.pdf
« La vue symbolique des choses intelligibles par le moyen des choses visibles est science spirituelle et intellection des choses visibles par les invisibles. Il faut en effet que les choses se manifestent les unes par les autres se réfléchissent les unes dans les autres en toute vérité et en toute clarté et qu’elles aient entre elles une relation qui ne soit pas brisée. » St Maxime le Confesseur
On peut conclure ces considérations sur l’icône avec celui qui fut le grand théologien de l’icône au 20è siècle, Léonide Ouspensky :
« L’icône représente non la chair corruptible destinée à la décomposition, mais la chair transfigurée, illuminée par la grâce, la chair du siècle à venir (voir 1 Co 15, 35-46). Elle transmet par des moyens matériels, visibles aux yeux charnels, la beauté et la gloire divine. C’est pour cela que les Pères disent que l’icône est vénérable et sainte précisément parce qu’elle transmet l’état déifié de son prototype et porte son nom, c’est pour cela que la grâce, propre à son prototype, s’y trouve présente. Autrement dit, c’est la grâce de l’Esprit-Saint qui suscite la sainteté tant de la personne représentée que de son icône, et c’est en elle que s’opère la relation entre le fidèle et le saint par l’intermédiaire de l’icône de celui-ci. L’icône participe, pour ainsi dire, à la sainteté de son prototype et par l’icône, nous participons, à notre tour, à cette sainteté dans notre prière. »
Finalement, ce qui vaut pour l’icône vaut aussi pour une église dont les formes sensibles qui ont toujours répondu à des normes doivent exprimer et signifier l’invisible. Le formes sensibles doivent, en effet, véhiculer quelque chose des réalités intelligibles et permettre aux hommes de les entrevoir. Un non chrétien sera toujours plus touché par une belle cathédrale susceptible d'évoquer quelque chose en lui et de parler à son intuition, que par une église dont la forme est celle d'une salle de spectacle et qui se fond dans le paysage.
On comprendra donc tout l'enjeu qu'il y a dans cette doctrine qui semble oubliée du catholicisme, mais encore présente dans l'orthodoxie, à une époque qui cherche à effacer le christianisme du paysage et par là même à l'effacer des consciences.
Symboliques, les formes sont donc de véritables moyens de présence pour les réalités spirituelles.
Comme le dit si bien St Maxime le Confesseur : « Le monde intelligible tout entier apparaît imprimé mystiquement dans le sensible en des formes symboliques pour ceux qui savent voir, et le monde sensible tout entier est contenu dans l’intelligible selon l’esprit et simplifié dans des concepts. Il est en lui par ses concepts, et celui-ci est en celui-là par ses représentations. »
Ainsi dans l'architecture chrétienne, la coupole (avec le Christ Pantocrator dans les églises byzantines) symbolise le ciel, et la base carrée, la terre. Ce qui symbolise bien l’union du ciel et de la terre, la réconciliation du crée et de l’incréé qui est le sens du Christianisme. Il me semble au demeurant que c’est un des trois modèle architectural autorisé dans l’église copte.
Mais la base peut aussi être cruciforme, avec le sommet, (la tête puisque l‘église est aussi image de l‘homme), où se trouve normalement l‘autel, orienté vers l‘orient. Ainsi, aller vers l’autel que symbolise le Christ, c'est aller vers l’Orient, et c’est monter vers la Lumière qui éclaire tout homme.
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