Le théologien catholique Louis Bouyer a jeté un éclairage la pratique
des berakoth c'est-à-dire les actions de grâce qui rythmaient (ou
rythment encore) la vie du juif pieux et qui permet de comprendre le
sens de la vie chrétienne.
Ces berakoth se disaient en toutes circonstances. Ainsi, dès qu'un juif se réveillait il pouvait dire
"bénis es tu, ... toi qui vêts ceux qui sont nus", ensuite une fois levé, "bénis es tu, toi qui étendu la terre sur les eux"
Comme
le dit Bouyer, il n'y avait donc pas un objet ou une action qui ne
puisse renvoyer à la pensée Dieu et qui ne soit l'occasion de se livrer à
la volonté de Dieu.
Dès qu'une chose se trouve reçue avec
bénédiction, elle se trouve consacrée, sanctifiée, c'est-à-dire arrachée
à la sphère profane, pour être remis en lien avec Dieu. Ainsi, la chose
redevient bonne comme elle l'a toujours été, car tout ce qui est sorti
de la main du créateur est bon. Car
tout ce que Dieu a créé est bon, et l’on ne doit rien rejeter de ce qui
se mange avec action de grâces; parce qu’il est sanctifié par la parole
de Dieu, et par la prière. (Tim 1:4)
Et voici ce que L. Bouyer explique :
"la
pratique constante des berakoth devient en effet une pratique toute
enveloppante de la vie de l'homme et du monde, par laquelle toute chose
sont comme ramenées à la Parole créatrice et comme restituée à la bonté
originelle que celle-ci leur avait conférée.
C'est ainsi diront
encore les rabbins, que toute la vie du fidèle du peuple d'Israël,
jusqu'en ses occupations les plus profanes d'apparence, revêt un
caractère non seulement sacré mais sacerdotal"
"les
rabbins développèrent une théologie très profonde de ces berakoth, que
nous pouvons considérer comme le fondement de toute théologie
eucharistique chrétienne. Ils soulignaient qu'en remplissant leur vie
par l'action de grâce, les juifs pieux renouvelaient l'oeuvre d'Adam
imposant son nom propre à toute chose, c'est-à-dire, reconnaissant le
sens divin de toute chose : la façon dont elles découlent de la parole
créatrice et n'en sont que l'expression.
C'est ainsi qu'il se révèle
le prêtre de toute la création et qu'il la consacre à Dieu
effectivement, - non pas qu'elle ne lui appartienne pas d'emblée, mais
parce que le juif pieux, éclairé par la Parole divine et lui donnant la
réponse qu'elle attend, est le seul qui, cessant de faire du monde
idole, le restitue à se destination première d'être un instrument de
louange"
Et en effet, dans le christianisme, tout
chrétien est un "prêtre" (cf catéchisme art 783 a 786, et 1 P2,5-9) qui
doit consacrer l'univers entier et le sanctifier par la prière. Par là,
le chrétien prépare l'avènement de Dieu tout en tous.
Bossuet synthétise ceci dans un sermon sur l'annonciation :
C'est
pourquoi il est mis au milieu du monde, industrieux abrégé du monde,
petit monde dans le grand monde, ou plutôt, dit saint Grégoire de
Nazianze, « grand monde dans le petit monde », parce qu'encore que selon
le corps il soit renfermé dans le monde, il y a un esprit et un cœur
qui est plus grand que le monde, afin que contemplant l'univers entier
et le ramassant en lui-même, il l'offre, il le sanctifie, il le consacre
au Dieu vivant : si bien qu'il n'est le contemplateur et le mystérieux
abrégé de la nature visible, qu'afin d'être pour elle par un saint amour
le prêtre et l'adorateur de la nature invisible et intellectuelle.
Bref, la plus haute théologie catholique prend sa source même dans le judaïsme ancien.
Bouyer nous apprend encore une chose très intéressante sur le sens de la pratique des berakoth :
"les
mêmes rabbins encore, qui répétaient que la Schekinah demeure
invisiblement avec tout groupe de juifs réunis pour méditer la Torah,
n'hésitent pas à dire que chaque juif fidèle en prononçant les berakoth
sur tout ce qu'il voit ou touche de ses mains, en fait une demeure
consacrée pour cette même Schekinah"
Texte intéressant car
la Schekinah, la présence divine, est rapprochée du Christ dans
Matthieu 18:20 et dans de nombreux autres passages. Ainsi, là où des
chrétiens sont assemblés au nom du Christ, celui-ci est présent.
Matt 18:20 Car en quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom, je m’y trouve au milieu d’eux."
J'avais
déjà traité précédemment du rapport entre le Christ et son Nom, et
l'importance du Nom de Jésus qui tient une grande place chez St Paul.
En effet, une telle idée n'est pas étonnante et puise sa source dans la
Bible où le Nom de Dieu comme le Tétragramme que les Juifs ne prononcent
plus, la manière de le prononcer s'étant par ailleurs perdue, tend à se
confondre mystérieusement avec sa présence même.
Aussi, si St Paul
insiste beaucoup, ainsi que les premiers écrits chrétien comme celui du
Pasteur d'Hermas, sur le Nom de Jésus c'est que le nom divin a prononcer
est désormais le Nom de Jésus (formé du nom divin Yah/Yeh).
Le catéchisme rappelle d'ailleurs à cet égard que "Son Nom est le seul qui contient la Présence qu’il signifie". (Art 2666) Et un moine orthodoxe Lev Gillet l'a judicieusement comparé à une lentille "qui reçoit et concentre la lumière blanche de Jésus".
Prononcer son Nom, c'est se rendre présent à Lui, et le prononcer sur
une chose, c'est la sanctifier, la ramener dans le Christ dans lequel
tout sera réunie (1 Eph 10).
Bref, tout ceci dire encore que "le Nom de Jésus est un instrument, une méthode de transfiguration"
propre à la réunification de toute chose en Christ, Verbe par lequel
tout a été fait (Jean 1:3) et donc à l'accomplissement du sacerdoce du
chrétien.
Louis Bouyer, Introduction à la vie spirituelle ed cerf (qui met en rapport sens des berakoth et prière chrétienne)
Louis Bouyer, L'eucharistie ed cerf
Un
moine de l'Eglise d'orient (Lev Gillet), La prière de Jésus (qui traite
de l'idée de l'invoquer le Nom du Christ sur tout chose ou tout homme
pour le sanctifier)
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